Inclusivité, drag, couleurs : comment la cérémonie d’ouverture a cloué le bec aux contradicteurs
"Ah ! Ça ira, les aristocrates on les pendra !". Que doit-on retenir de cette cérémonie d'ouverture ? Est-ce qu'elle était vraiment inclusive ou était-ce simplement la "propagande wokiste" comme on aimerait nous faire croire. On analyse, on décrypte et on débunke.
Écrit par Juliette Gour le
Vendredi 26 juillet, 22 millions de téléspectateurs Français (et presque 2 milliards dans le monde) étaient devant leur poste de télévision pour découvrir la cérémonie d'ouverture des jeux de Paris. C'était le grand mystère de ces jeux, personne ne savait ce que l'équipe de Thomas Jolly avait prévu pour cette grande fête du sport. La seule chose que l'on savait, c'est que la cérémonie se tiendrait sur les bords de Seine, pour un spectacle unique, sur 6km de quais... Mais aucun détail du spectacle n'avait filtré.
Si les réactions à chaud - sur les réseaux sociaux - ont été dithyrambiques, avec les quelques jours de recul, on peut parler de franche réussite. Il y a évidemment quelques ombres aux tableaux - les nombreux TikTok d'Américains faisant preuve - il fallait avoir quelques références pour comprendre tous les clins d’œil de la cérémonie.
L'autre grand débat, c'est (il fallait s'y attendre), celui des plus conservateurs qui s'offusquent de cette cérémonie, jugée trop "woke" ou "faisant la propagande de l'idéologie LGBTQIA+". Mais une fois de plus, ils ont tout faux, parce que quand on se penche sur tous les détails de la cérémonie, on se rend rapidement compte que chaque élément rend hommage à une partie de la France. En réalité, Thomas Jolly nous a peut-être offert la cérémonie la plus inclusive de l'histoire.
Vous n'y croyez pas ? Pas de souci, on vous explique.
Des références pour tous, pour une cérémonie qui parle à tout le monde
La difficulté d'un spectacle vu par un aussi grand nombre de personnes, c'est de trouver le bon dosage. S'il est évident qu'on ne peut pas plaire à tout le monde, on sent que les équipes ont tout fait pour ne pas tomber dans le cliché "oui oui baguette" qui nous a été servi pour la cérémonie d'ouverture de la coupe du monde de rugby. La France, c'est évidemment les bérets, les marinières, le côté "chasse, pêche et tradition", mais ce n'est pas que ça. La France, c'est un patchwork de plein d'influences et c'est ce melting-pot que les équipes de Thomas Jolly ont décidé de mettre en avant.
Jeux vidéo, dessin animé, revue Parisienne... Rien n'a été oublié
Si la fange politique conservatrice n'a retenu que la Cène (qui n'en est pas une), il y a eu en réalité de nombreux autres détails font de cette cérémonie une célébration de l'inclusivité.
On peut par exemple citer l'hommage à la revue Française avec Lady Gaga et les danseurs du Moulin Rouge, le tout dans un tableau ouvert par un accordéoniste (instrument de musique très associé à la France). Cette première carte postale parle du glamour de Paris, que l'on nous envie depuis le Second Empire. Un premier tableau qui mise sur la tradition donc, pensé pour plaire aux amoureux de la culture parisiano-parisienne et à ceux qui regrettent le temps où Line Renault était meneuse de revue au Casino de Paris.
Dans les autres références, il y a évidemment celle à Assassin's Creed. Le porteur masqué - interprété par Simon Nogueira - est directement inspiré du personnage d'Arno, star du 5eme opus de la série de jeux vidéo. Pourquoi cette mise en lumière ? Parce qu'Ubisoft est un studio de création Français, qui produit quelques-uns des jeux les plus consommés sur la planète. Si les personnes les plus âgées n'ont sûrement pas eu la réf', les plus jeunes et autres passionnés du gaming ont apprécié le clin d'œil, en plus de voir en chair et en os un personnage qu'ils ont pu jouer des heures durant.
Idem pour les kids, qui ont sûrement adoré le passage avec les Mignons, vilains voleurs de la Joconde. Le dessin animé étant une des industries phare du pays, il fallait mettre en lumière les studios de création du pays et les créatures d'Illumination se devaient d'être présentes sur cette cérémonie.
Trois exemples (parmis d'autres) qui montrent qu'il y a eu une attention particulière portée à la création de tableaux qui peuvent parler à tous, sans avoir une lecture trop littérale ou quelque chose de trop frontal. Il y a eu un vrai travail autour de l'enchaînement des choses, pour que ce soit aussi naturel que possible et pour que tout le monde y trouve son compte.
En vrac, on retrouve d'autres références pensées pour satisfaire le plus grand nombre
Il faudrait reprendre la cérémonie point par point pour faire réellement une analyse détaillée tant il y a de la matière. L'aspect le plus inclusif est en revanche peut-être venu de la danse, très présente sur la cérémonie : classique, régionale, voging, contemporain, classique, tecktonik, rave, breaking... Les amoureux du mouvement ont évidemment été comblés.
Se cache un symbole derrière chaque interprétation. Pour le classique, il est question de la tradition et de l'école de l'Opéra. Le Voging, c'est la ballroom et la culture drag. La tecktonik, le breaking... Ce sont les danses de la rue, celles que l'on pratique quand on ne peut pas mettre les pieds dans un studio. Comme un langage universel, la danse a été utilisée comme le liant entre les tableaux, tout comme elle est le liant entre les corps, les humains et les cultures. Avec l'arrivée du breaking aux JO, Maud Le Pladec (chorégraphe de l'évènement) se devait de mettre en avant cet art universel, qui permet souvent de parler sans rien dire.
L'art de déranger, c'est aussi quelque chose de très Français
Sans surprise, des choses ont été reprochées à l'organisation. Certaines personnalités politiques ont jugé la cérémonie trop subversive, criant même à la propagande "wokiste"... Mais finalement, l'art de déranger, c'est aussi quelque chose de très Français. On parle souvent "d'audace à la Française" et ce n'est pas pour rien. Culturellement, on nous pousse à toujours aller à contrecourant et c'est pour cette raison qu'au fil de l'histoire, le pays a produit quelques-uns des plus grands artistes de tous les temps.
Même Louis XIV, roi chouchou des traditionalistes, était haut en couleur : perruque, talons, danse... C'était une drag queen avant l'invention du terme (et on ne parle même pas de Monsieur son frère). Historiquement, la France a toujours été un lieu où on ose, où on fait bouger les codes et cette cérémonie d'ouverture le reflète parfaitement.
On ne sait pas ce qu'on préfère... Les Marie-Antoinnette qui scandent "Ah ça ira !" aux fenêtres de la Conciergerie (où elle a trouvé la mort) ou la référence totalement assumée à la littérature romantique Française. Dans un cas comme dans l'autre, il est question d'histoire et de faits.
Une leçon d'histoire...
Certains n'ont pas supporté la vue des reines de France, tête sous le bras, il n'y a pourtant rien de plus vrai. Paris a le bénéfice d'être un livre d'histoire à ciel ouvert et il aurait été dommage de ne pas faire référence à tout ce qu'il s'est passé dans les rues de la capitale.
Le côté subversif (toujours) est évidemment venu du mashup entre "Ah ! ça ira", chant révolutionnaire et Gojira - rois du métal Français. Évidemment, le rock c'est la révolution, mais c'est aussi un message fort. En utilisant la figure d'une reine, devenu référence de pop culture, on fait le choix de ne pas oublier d'où on vient et de l'importance qu'a eue cette décapitation dans l'histoire du pays. L'association avec la musique, tantôt lyrique, tantôt rock, colle à la perfection avec notre bonne vieille Toinette. Amoureuse des arts et toujours en avance sur son temps, elle aurait sûrement aimé le rock autant qu'elle aimait l'opéra.
... Et de littérature
Glorifier le polyamour, vous n'y pensez pas ? Pourtant, il n'a pas fallu attendre 2024 pour que les auteurs se penchent sur la question. De Musset à Marivaud (qui donnera son nom au marivaudage) en passant par Radiguet, l'amour a toujours été questionné au pays des grands hommes. La littérature romantique glorifiera l'amour que l'on peut parfois partager entre plusieurs amants. Si les questions d'orientation sexuelle font trembler le débat depuis plusieurs années, l'histoire n'a pas attendu les temps moderne pour s'autoriser quelques sorties de route.
En sujet universel, l'amour a toujours été questionné et il aurait été dommage de ne pas parler de ce sentiment, surtout dans la ville la plus romantique du monde, où quelques-uns y écrivent l'amour depuis toujours.
Drag queen et Cène, la goutte de trop pour les Grenouilles de bénitier ?
Censuré dans de nombreux pays, le passage avec les Drag Queen est celui qui a fait couler le plus d'encre. On ne sait pas ce qui a le plus choqué : de Philip Katherine en bleu en passant par Nicky Doll et ses copines (divines), c'est peut-être le passage qui a le plus bouleversé les traditionalistes. Pourtant, une fois de plus, rien n'est réellement justifié. Si on ne peut évidemment pas remettre en cause le ressenti des personnes, il est important de remettre l'Église au centre du village.
Certains se sont offusqués de la représentation de la Cène, criant au blasphème... Qui est pourtant autorisé dans la loi Française depuis 1881. Il n'y a donc aucun interdit à utiliser des figures religieuses - surtout quand on sait que celle de De Vinci est déjà un blasphème pour l'Église.
Ce n'est en plus pas la première fois que la Cène est reproduite, de façon plus ou moins osée. On a pu y voir les personnages de Nintendo, Astérix et ses compères, les Simpsons, des mannequins, les personnages de Lost, ceux de Dr.House... Rien de nouveau sous le soleil donc. De nombreuses personnes se sont toujours amusées à détourner le tableau, tout simplement parce qu'il fait aujourd'hui partie de la pop' culture.
Mais, ce que les tradi' ont pris pour la Cène, est en réalité une représentation des Bacchanales de Dionysos. Ce n'est pas un banquet Chrétien, mais celui des dieux de l'Olympe (tiens, une référence cachée à l'Olympisme ?). Philip Katherine est le dieu de la fête, Paloma est Aphrodite, Niky est Era, Piche est Artémis... Une réunion de dieux grecs, pour célébrer l'origine des jeux après avoir célébré celle du monde en mettant en avant les grandes femmes de France. Aucun blasphème à l'horizon donc et un tableau qui se veut - une fois de plus - inclusif au possible.
Finalement, qu'est-ce qu'on retient ?
Ce qu'on retiendra de cette cérémonie, c'est son universalité, portée par l'ensemble du spectacle, mais surtout par une Céline Dion quasi divine, qui a su mettre d'accord le monde entier. On aurait pu parler d'Aya Nakamura, sortant conquérante de l'Académie Française, faisant la nique à tous ceux qui lui reprochent de ne pas parler correctement. De Juliette Armanet et Sofiane Pamart qui nous ont offerts un instant hors du temps, pour appeler à la paix.
Ce que le monde s'accorde à dire, c'est que la France a montré le meilleur d'elle-même, mettant en avant de nombreux aspects du pays, pas forcément majoritaires (selon les dernières législatives), mais qui a le mérite d'exister.
Si sous le vernis, il y a encore des choses à revoir, le pari de créer une cérémonie aussi inclusive que possible a été relevé haut la main et on attend maintenant la clôture, pour voir si l'essai sera transformé.