Rencontre avec Shiori Ito, la courageuse à l’origine du mouvement #MeToo au Japon
Shiori Ito est l’une de ces femmes qui refusent de se taire. Depuis 2015, la journaliste japonaise se bat pour faire reconnaître son viol par la justice de son pays. Un combat devenu un documentaire, qui expose les failles du système judiciaire et les tabous de la société japonaise.
Écrit par Juliette Gour le

Pour beaucoup, le Japon est un fantasme... Et difficile de les blâmer : les cerisiers en fleurs, les Pokémon, la geek culture, tout nous porte à croire que c'est un petit paradis, tant qu'on ne se penche pas sur les questions d'égalité des genres. Selon le classement mondial 2024 de l'égalité des genres, le Japon se classe à la 118ème position (sur 146), derrière les Émirats arabes Unis. C'est le pays du G7 le moins bien classé au monde et ce, depuis des années. Pourquoi le pays est-il classé si bas ? Parce qu’au Japon, la place des femmes reste largement reléguée à l’arrière-plan. Cette considération est influencée par une culture qui met les hommes en avant, tout en reléguant les femmes à leur "place naturelle" : à la maison, pour s'occuper des enfants.
Dans un tel contexte, les luttes pour l’égalité avancent plus lentement et peinent à résonner. #MeToo par exemple, qui a ébranlé les sociétés occidentales, a mis beaucoup de temps à faire écho au Japon, simplement parce que culturellement, on ne bouscule pas l'ordre établi. Heureusement, il y a toujours des courageuses comme Shiori Ito, qui n'ont pas peur de mettre un coup de pied dans la fourmilière.
Elle a décidé de dénoncer publiquement son violeur, Noriyuki Yamaguchi, qui l’a droguée avant d’abuser d’elle en 2015. De son combat judiciaire, elle a fait un documentaire – Black Box Diaries – qui montre à quel point il est encore compliqué au Japon de se faire entendre quand on est une victime.
Si l'histoire fait grand bruit par chez nous, au Japon, le documentaire et son histoire sont très peu traités par les médias. Pire encore, elle est aujourd’hui considérée comme une paria dans son propre pays pour avoir osé parler. On l'accuse d'être une prostituée, on la harcèle en ligne... Toutes ces réactions l'ont poussée à quitter son pays natal, encore trop coincé dans une tradition entravante pour les femmes.
On a eu la chance de rencontrer Shiori Ito pour parler de son film (nommé aux Oscars) et de toute cette affaire, devenue l'emblème du #MeToo japonais.
Herstory. Lorsque vous avez pris la décision de transformer cette affaire personnelle en documentaire, quel était votre objectif ?
Shiori Ito. C'est un documentaire sur moi qui cherche à défendre mon propre cas de viol, mais ce n'est pas seulement une histoire de viol, c'est aussi l'histoire de ce qui s'est passé après, la société, le système judiciaire, la manière dont les médias réagissent au Japon face au viol.
Dès le début, il apparaît que la police ne vous a pas soutenue dans votre combat
J'ai mis 5 jours avant d'aller à la police, parce que je ne me rappelais pas de tout, il m'a fallu du temps pour reconstituer l'histoire, comprendre comment je m'étais retrouvée dans cet hôtel... Mais la réaction de la police a été de me dire qu'ils ne pouvaient rien faire, que c'était quelque chose qui arrivait souvent. J'ai dû insister en leur demandant de regarder les images des caméras de surveillance et ils ont finalement commencé à enquêter. Pendant la première année d'investigation, j'avais confiance en la police, parce que la loi et l'ordre sont deux choses très importantes au Japon. Mais du jour au lendemain, l'arrestation de mon violeur - un proche de l'ancien premier ministre Abe - a été annulée. J'ai immédiatement suspecté qu'il avait été couvert par un haut gradé. C'est à partir de ce moment que j'ai décidé de rendre l'affaire publique, j’espérais que la presse s’en emparerait pour enquêter, mais ça n'a pas eu l'effet que j'attendais.

C'est un documentaire très personnel, très intime, est-ce que ça vous a fait peur ?
J'ai écrit le livre en 2017, c'était un travail avant tout journalistique, pour permettre aux gens de mieux comprendre cette affaire. La visée du documentaire est un poil différente. Je voulais raconter toute l'histoire de mon point de vue, en tant que victime. Je voulais avant tout montrer le combat juridique et les difficultés. D'une certaine façon, ce documentaire est également une façon de me protéger. J'ai des preuves de tout ce qui m'est arrivé et toute l'affaire a été documentée. Il m'a fallu 4 ans pour monter le documentaire, parce que c'était compliqué pour moi de me remettre dans tous ces traumas.
Aujourd'hui, vous ne vivez plus au Japon, est-ce que vous en voulez à votre pays ?
En fait ce film est surtout une lettre d'amour au Japon. Ma petite sœur, mes amies, toutes les personnes que j'aime vivent au Japon. J’espère qu’un jour, ce film sera projeté au Japon et contribuera à faire évoluer les mentalités. Je suis très fière d’avoir réalisé ce documentaire, malgré mes traumatismes et c'est ça qu'il faut finalement retenir : il ne faut jamais hésiter à faire entendre sa propre voix.
Black Box Diaries est en salles depuis le 12 mars.