Dette sexuelle : cette pression qui pèse sur la sexualité des femmes
Ça ne vous est jamais arrivé de vous en vouloir, même un peu, en faisant comprendre à un homme que vous alliez "en rester là" après un dîner ? Si oui, vous avez déjà souffert de la pression de la dette sexuelle.
Écrit par Juliette Gour le
Tout est parti d'un tweet. Un soir, en scrollant sur Twitter, un exemple parfait de "dette sexuelle" était en pôle position dans le fil d'actualité. Ce tweet, c'est le témoignage d'une jeune femme qui s'est fait reprocher de ne pas avoir accepté de coucher avec un homme alors que ce dernier, en grand prince, avait payé pour le cinéma, 15€ donc.
Le pire dans l'histoire, c'est que le jeune homme (qui estime qu'il suffit de payer pour qu'une femme accepte d'avoir des relations sexuelles) a dit à la jeune femme qu'elle aurait pu "accepter par gentillesse". Si le tweet est tourné à la rigolade, cela n'enlève pas le fait qu'il soulève un point essentiel de notre société : le fait que certains hommes pensent encore qu'une relation sexuelle, ça s'achète avec un repas dans un restaurant ou une soirée au cinéma. Et, dans cette idée d’un prêté pour un rendu, de nombreuses femmes pensent que si un homme passe à la caisse, cela signifie qu'il y aura une relation sexuelle ipso facto pour le "remercier" d'avoir payé.
Cette charge s'appelle la dette sexuelle et elle est intégrée dès le plus jeune âge.
Les Éclaireuses
La dette sexuelle ou l'altération du principe de consentement
S'il y a bien un principe qui est central aujourd'hui dans les relations, c'est la notion de consentement. Un coup d'œil sur les archives de l'INA permet de se rendre compte que, pendant longtemps, l'avis des femmes ne comptait pas dès qu'il était question de relations sexuelles : les époux forçaient, les soldats violaient et les mères disaient à leurs filles "sois docile et tout se passera bien". À l'époque, les femmes acceptaient tout (ou presque) parce que c'était les hommes qui ramenaient l'argent à la maison. Ainsi, le fait de donner des faveurs sexuelles en échange d'une sécurité financière est intégré depuis longtemps déjà.
Heureusement, l'eau a coulé sous les ponts et on a compris que le consentement n'était pas quelque chose de futile et que les femmes avaient tout à fait le droit de dire non. Sauf qu'en 2022, il y a toujours une pression qui pèse sur les épaules des femmes et c'est la dette sexuelle. Le problème, c'est que derrière cette question de redevabilité, il y a une vraie question d'altération du principe de consentement. Pourquoi ? Parce que les femmes se sentent parfois redevables envers un homme si ce dernier a mis la main au porte-monnaie. Ce sentiment est directement lié à la société et à l'idée qu'on attend des femmes qu'elles aient un certain comportement, un comportement normé et hérité de réflexes d'une autre époque.
Ainsi, le rapport est accepté, mais pas forcément consenti et c'est là qu'est tout le problème, parce qu'il y a une normalisation de cet échange de "bons procédés", et ce, autant pour les hommes que pour les femmes. C'est pour cette raison que des hommes s'étonnent qu'une femme n'accepte pas d'avoir une relation sexuelle avec eux après un restaurant ou que des femmes culpabilisent de ne pas accepter de coucher avec des hommes alors qu'ils ont payé l'addition.
Mais du coup, accepter un verre, c'est une façon détournée pour accepter un acte sexuel ?
Tout est intégré : une femme se dira qu'un homme qui l'invite est en attente d'un acte sexuel et, de ce fait, accepter un verre c'est accepter de coucher avec cet homme et, en miroir, les hommes pensent qu'à partir du moment où ils payent (et qu'ils font un "sacrifice"), ils sont en droit de recevoir une relation sexuelle parce qu'ils en ont payé le prix. Ce schéma de pensée vient tronquer notre perception du premier rendez-vous et nous pousse à croire que tout n'est qu'une question d'échange et de redevabilité.
Tout ce système d'attentes et de fait de normaliser un retour sexuel de la part des femmes est lié à l'hétéronormativité, soit l'ensemble des normes imposées aux relations hétérosexuelles. Tout ce principe repose sur une série de normes et de privilèges accordés à un seul type de sexualité (considéré comme une norme). Donc, selon ses règles sociétales, il est normal pour une femme de consentir, même sans envie, à coucher avec un homme juste parce qu'il a fait l'effort de l'inviter au restaurant ou au cinéma.
On en revient, finalement, toujours à évoquer un système oppressant et stigmatisant où les victimes sont toujours les mêmes. En 2018, une étude suisse a demandé aux femmes si elles avaient déjà accepté des relations sexuelles sans désir. Elles ont été 53% à répondre par la positive. La plupart des femmes ont justifié leur réponse en disant qu'elles avaient accepté, non pas parce qu'elles avaient du mal à dire non, mais parce qu'en acceptant de voir cet homme, il était évident que ce dernier avait des attentes sexuelles suite à la rencontre. Ce comportement prouve à quel point la question de la dette sexuelle est banalisée et intégrée toujours en 2022.
Accepter pour ne pas passer pour une "profiteuse"
L'autre question centrale dans la normalisation d'échange de faveurs sexuelles contre un repas dans un restaurant, c'est la perception. Comment est-ce qu'une femme est perçue si elle accepte un repas sans passer par la case "sous les draps" ? Alors que cela devrait être normal et anodin, on l'affublera plutôt de termes comme "profiteuse", "allumeuse" et même "michto" (comprenez une jeune femme intéressée). Mais, est-ce que la réciproque serait identique dans les relations homosexuelles ou si c’était la femme qui invitait l'homme à manger ? Pas forcément, tout simplement parce qu'en France, 73% des femmes et 59% des hommes pensent encore que les hommes ont de plus grands besoins sexuels que les femmes (alors que dans les faits, nous sommes assez égaux sur la question du désir sexuel).
En restant dans ce schéma d'acceptation, on reste dans un ordre hiérarchisé où les besoins (et les désirs) des hommes restent supérieurs à ceux des femmes. Et, malgré tous les combats féministes et les nombreux mouvements qui essayent d'amorcer un changement, on se rend compte que l'on est toujours plus ou moins victime de l'ordre du genre (un ordre qui découle directement de la société patriarcale).
Si quelques courageuses acceptent de rompre le schéma, cela ne permet pas pour autant de régler les problèmes. Pourquoi ? Parce que ce sont aux femmes de changer leurs comportements, quitte à recevoir quelques remarques cinglantes de la part des hommes. Mais cela n'est qu'un pansement sur une jambe de bois, car il n'y a pas de modifications profondes et durables du système dans lequel on se trouve.
Éduquer pour arrêter de laisser croire qu'un acte sexuel est dû
Comment régler le problème ? Comme toujours, avec de l'éducation, mais aussi (et surtout) avec une prise de conscience générale que la sexualité n'est pas un dû et que le consentement n'est pas seulement lié au fait d'accepter un dîner dans un restaurant. Il est nécessaire d'intégrer, une bonne fois pour toutes, que le consentement dépend d'une négociation et qu'un oui pour un repas n'est pas un oui pour la nuit.
Autre point essentiel, il ne faut pas non plus jeter la pierre aux femmes qui acceptent de coucher avec un homme après un restaurant (surtout pas si elles en ont vraiment envie). Tout n'est qu'une question de curseur et de perception personnelle sur la question. Ce qui dérange réellement derrière cette question de dette sexuelle, ce n'est pas tant l'acte en lui-même, mais bien la culpabilité et la redevabilité que les femmes peuvent ressentir.
Le meilleur moyen de tordre le cou à tous ces schémas de pensée, c'est d'apprendre aux petites filles qu'un dîner n'engage en rien et aux petits garçons que ce n'est pas parce qu'ils invitent quelqu'un au cinéma qu'ils doivent s'attendre à un retour.