En 2023, 62 % des crimes sanctionnés en France étaient des viols

62 %. C’est le pourcentage de viols sanctionnés en France en 2023. Mais si ce chiffre témoigne d’une condamnation, il ne reflète en rien une réelle prévention. Pourquoi, malgré les peines, ce crime reste-t-il aussi répandu ?

Écrit par Camille Croizé le

Le viol, un crime sanctionné mais toujours omniprésent : pourquoi ?

Le chiffre révélé par le dernier rapport du ministère de la Justice en dit long sur l’état de notre société. En 2023, 62 % des crimes sanctionnés en France étaient des viols. Mais au lieu d’être un signe de progrès, ce chiffre révèle une réalité glaçante : malgré les condamnations, le viol reste omniprésent. Pourquoi ce crime continue-t-il d’être si répandu ? Entre un système judiciaire défaillant, un manque criant de prévention et une éducation toujours bancale sur le consentement, il est temps de regarder ce problème en face.

Des condamnations, mais pas de prévention : un échec collectif

Chaque jour, 250 viols ou tentatives de viol sont déclarés, selon le collectif #NousToutes. Pourtant, pour une affaire qui arrive devant les tribunaux, combien sont passées sous silence ? L’étude de l’Institut des politiques publiques de 2024 est sans appel : entre 2012 et 2021, 94 % des plaintes pour viol ont été classées sans suite. Et quand on sait que seulement une minorité des victimes ose porter plainte, le tableau est encore plus sombre.

Pourquoi autant d’affaires échappent-elles à la justice ?  Le système judiciaire est trop souvent perçu comme une épreuve pour les victimes. Entre les interrogatoires intrusifs, les expertises médicales humiliantes et les classements sans suite, beaucoup renoncent avant même d’être entendues.

Et pendant ce temps, la prévention reste quasi inexistante. Si les campagnes de sensibilisation existent, elles sont souvent sporadiques et peu ciblées. Le consentement, par exemple, est encore trop rarement abordé dans les écoles. Résultat ? Une société qui continue de banaliser le viol et de perpétuer des mythes dangereux, comme celui de la "zone grise".

Une éducation à revoir... d’urgence

À chaque fois qu’on parle de viol, une question revient : à quel moment ça dérape ? Et la réponse se trouve souvent dans l’éducation. En France, on préfère parler des risques liés à la sexualité — MST, grossesses non prévues — plutôt que de respect et de consentement. Une erreur fatale, selon de nombreux experts.

On enseigne encore aux filles à éviter le viol, mais on n’apprend pas aux garçons à ne pas violer. Cette asymétrie alimente une culture où le consentement est mal compris, voire ignoré. Prenons l’exemple des séries et des films : combien de fois a-t-on vu des scènes de "séduction" qui flirtent dangereusement avec l’agression sexuelle ?Unbelievable, Promising Young Woman, ou encore la célèbre phrase de Game of Thrones"Le viol est la seule chose qu’une femme puisse offrir à un homme" — illustrent bien cette sombre réalité.

Pour inverser la tendance, il faut un vrai changement de paradigme. Intégrer des cours obligatoires sur le consentement, déconstruire les stéréotypes de genre et sanctionner plus fermement les propos sexistes sont des premières étapes indispensables.

Le poids écrasant de la culture du viol

La culture du viol est ce terreau insidieux dans lequel se développent les violences sexuelles. Elle se manifeste dans les blagues anodines, les clichés des publicités ou encore les scénarios récurrents de films où le "non" est perçu comme une invitation. C’est un environnement où les victimes sont culpabilisées et où les agresseurs trouvent des excuses.

Cette culture commence tôt. Dès l’enfance, les garçons apprennent que les filles doivent être séduites à tout prix, quitte à insister ou à ignorer leur refus. Et à l’âge adulte, ces mêmes garçons deviennent des hommes qui confondent désir et domination. Dans ce contexte, le viol est souvent banalisé, minimisé ou même invisibilisé.

Des campagnes comme celles de #NousToutes ou des hashtags tels que #MeToo ont permis de mettre en lumière cette réalité. Mais les changements restent lents, et la société peine encore à prendre la mesure de l’ampleur du problème. Il ne suffit pas de dénoncer, il faut aussi agir concrètement pour démanteler ces schémas.

L'affaire Pélicot a récemment secoué l’opinion publique, attirant l'attention sur un cas de soumission chimique qui a duré plusieurs années. Le mari de la victime a orchestré un véritable calvaire en forçant sa femme à subir des viols collectifs, en invitant des hommes chez eux, tout en l’assommant avec des substances. Un cas d’une violence inouïe qui est devenu mondialement célèbre, mais qui a aussi mis en lumière des réactions surprenantes, notamment celle de l’avocate de plusieurs accusés, Nadia El Bouroumi

@legend « Comment on peut imaginer que ces hommes soient des violeurs ? » L’avocate de plusieurs accusés dans le procès des viols de Mazan, Nadia El Bouroumi s’est filmée en larmes après l’annonce du verdict. Un de ses clients a été reconnu coupable de "viol aggravé" sur Gisèle Pélicot et condamné à six ans de prison. #legend#legendmedia#actu#mazan♬ original sound - LEGEND

Elle a tenté de défendre son client, clamant qu’il n’était pas un violeur."Comment peut-on imaginer que ces hommes soient des violeurs ? Vous savez moi je plaide pour un Monsieur qui a 74 ans (…) t’imagines 74 ans, il a prit 6 ans, donc ca veut dire concrètement même si on fait appel il va faire un an encore, je sais même pas s’il a toute sa tête (…) c’est un procès malheureusement tu contrôles pas tu vois" explique, en pleurant, l’avocate sur ses réseaux sociaux. Cette scène, partagée et vivement critiquée sur Tiktok, a alimenté le débat sur la normalisation des violences sexuelles.

Ce genre de réaction n’est pas qu’une simple maladresse, mais un symptôme d’un système qui, encore trop souvent, excuse ou banalise les violences faites aux femmes. La culture du viol persiste, invisibilisant les victimes et renforçant l’idée que certains hommes se croient toujours au-dessus des lois.

Victimes : entre silence et indifférence

Au-delà des chiffres, il y a des vies. "J’ai porté plainte après mon viol, mais l’inspecteur m’a demandé si je n’avais pas été trop provocante. Je me suis sentie violée une deuxième fois." Si ce genre de phrase vous dit quelque chose c’est sûrement parce que vous avez déjà vu passer des témoignages, sur votre FYP Tiktok, de femmes ayant été sexuellement agressées. Le constat ? Ils ont tous de nombreux points communs. Celui que l’on retient ? La victime manque cruellement de protection et, surtout, de considération. 

Beaucoup racontent un parcours semé d’embûches, où chaque étape semble leur dire qu’elles auraient mieux fait de se taire. "J’ai fini par avoir le sentiment de ne pas être légitime à parler tant que je n’avais pas porté plainte. Aujourd’hui, je me rends compte que c’est un énième moyen de faire taire les victimes et de perpétuer le tabou autour des violences sexistes et sexuelles" explique Clémentine 23 ans, interrogée par Mademoizelle

Elle dénonce l'immense pression qui pèse non pas sur les coupables mais sur les victimes."Si j’avais reçu un euro à chaque fois qu’on m’a dit “bah porte plainte”, je serais vraiment, vraiment riche à l’heure qu’il est." Sauf que ce n’est pas aussi simple que ça. Entre les fameuses phrases "vous êtes sûre que vous n’avez pas été trop provocante ?" ou encore "Vous étiez habillée comment ?" dénoncées par de nombreuses victimes à la suite d’un dépôt de plainte, autant dire que le système judiciaire n’est pas en faveur de ces "femmes cassées" comme les appelait Gisèle Halimi, grande figure du féminisme.

"Ça a été une épreuve très traumatisante, l’officier soufflait quand je cherchais à comprendre. J’ai fini par pleurer, m’effondrer, les supplier de prendre ma plainte, de me croire…" a confié Clémentine. Sur les réseaux sociaux les nombreux témoignages prouvent ô combien les victimes de ce type de violences ne sont pas assez entendues et surtout, prises au sérieux. 

Le viol, symptôme d’une société patriarcale

@cl.mlss on s’en br de ma dégaine mais c’est ma trend fav 🙏🙏#womaninmanfields#pourtoi#fyp#foryoupage#foryou#trend♬ Anaconda - Nicki Minaj

Au fond, le viol reste un crime symptomatique d’un système patriarcal qui profite à certains au détriment des autres. Les hommes jouissent, aujourd’hui encore, d’une impunité. Sur TikTok, certaines dénoncent ces violences banalisées. C’est, par exemple, le cas de #WomanInManFields qui cartonne, révélant un ras-le-bol généralisé. Sur la plateforme, la créatrice de contenus @cl.mlss a publié  "Il m’a dit qu’il s’était fait percuter par un camion donc je lui ai demandé comment il était habillé pour voir s’il ne l’avait pas "un peu cherché"."   

À côté de ces récits poignants et de ces trends, les experts pointent les dysfonctionnements systémiques. Caroline de Haas, femme politique, militante féministe et spécialiste des violences sexuelles a souvent parlé de l'importance de repenser et déconstruire la culture du viol et de traiter ces violences comme un problème de pouvoir. Selon elle, il est crucial de changer la manière dont la société perçoit le viol pour en finir avec son acceptation tacite.

La lutte contre le viol ne peut pas se limiter à des condamnations. Il faut prévenir avant de guérir, éduquer avant de punir. Parce qu’au final, le vrai chiffre choc ne devrait pas être celui des condamnations, mais celui des viols évités.