Pourquoi le self-love cartonne surtout chez les femmes ? Spoiler : ce n’est pas un hasard.
Alors que l’industrie du développement personnel est en plein boom, guides et méthodes apparentés au genre ont inondé nos librairies. Dominé par des auteurs masculins, le business ultra-lucratif de l’amélioration de soi cible en premier lieu …(oh, surprise!)... Les femmes. Explications.
Écrit par Margaret McDonald le
Qu’est-ce qui pousse l’être humain, au-delà de ses besoins primaires, à rechercher sans cesse un sens, un progrès, une version idéale de lui-même ? L'aspiration à une vie meilleure est ancrée au cœur de la condition humaine, à mi-chemin entre un besoin fondamental et un rêve d’accomplissement personnel. Une notion rationalisée par le psychologue américain, Abraham Maslow, à l’origine de la célèbre pyramide des besoins. C’est donc en réponse à cette pulsion existentielle de vivre “sa meilleure vie”, qu’est apparu le développement personnel.
Mouvement relativement récent, celui-ci ne bénéficie pas d’une définition précise et se situe à la frontière entre une large variété de disciplines dont le sport, la psychologie et même la nutrition. “Ostéopathes de l’être”, “guides spirituels” et autres “coachs de vie” - des métiers non reconnus par l’État - y piochent divers concepts et théories afin d’élaborer des méthodes et “guidelines” pour faire miroiter à leurs adeptes, souvent vulnérables, une vie meilleure.
Aujourd’hui, le genre explose. Une popularité qui s’explique, en Occident, en partie par la perte de vitesse des religions monothéistes mais aussi par la société actuelle faite de contradictions. Ainsi, ce mouvement, auparavant considéré comme alternatif, s’est transformé en business florissant - évalué à 50 milliards de dollars en 2024 et estimé à 80 milliards de dollars pour 2033 - et dont les principaux acteurs sont des hommes. Un constat problématique puisque le business model même repose sur l’exploitation des vulnérabilités de ses consommateurs, ou en l’occurrence, des consommatrices. En France, une étude Ipsos pour le CNL montre qu’entre 2022 et 2023, 22% des hommes ont lu au moins un livre de développement personnel pour 41% des femmes. Encore une statistique qui fleure bon le sexisme.
Le discours toxique du développement personnel
Initialement séduite par les promesses d’une vie, d’un corps et d’une personnalité “améliorés”, des guides de développement personnel, la journaliste britannique Marianne Power s’est lancée le défi de suivre les principes d’une méthode de développement personnel différente chaque mois pendant un an. Un dernier effort vaillant pour enfin devenir la femme parfaite et “vivre sa meilleure vie” à l’aube de la quarantaine. En résulte “Help Me!”(Editions Stock), une autobiographie façon Bridget Jones, dans laquelle l’autrice décrit un calvaire hilarant mais émouvant de ces douze mois passés à essayer différents principes et suivre une variété de règles souvent en contradiction les unes avec les autres. “Nous, les femmes, avons été conditionnées depuis longtemps pour nous trouver inadéquates,” nous explique Marianne Power, depuis chez elle à Londres. “L’idée même de devenir la “meilleure version de soi-même” ou de “vivre sa meilleure vie” implique que nous ne sommes pas assez bien telles que nous sommes et c’est fondamentalement faux.”
Faux certes, mais aussi toxique. Cette quête d’auto-réalisation et de perfectionnement de soi-même se nourrit de clichés de genre et de diktats dépassés dont les femmes demeurent les premières victimes.
“Il n’y a pas de réelles différences psychologiques entre les hommes et les femmes si ce n’est un conditionnement sociologique”, souligne Laure Fillette, psychologue clinicienne et psychanalyste basée dans le 6ème arrondissement de Paris. “Les femmes sont soumises à des injonctions constantes. Aujourd’hui nous les dénonçons mais les représentations sont encore très puissantes et renvoient à un idéal féminin persécutant, intériorisé par beaucoup d’entre nous. Impossible d’observer ce phénomène sans penser à la phrase de Simone de Beauvoir: “On ne naît pas femme, on le devient””.
Pour Laure Fillette, l’un des discours les plus toxiques au cœur du développement personnel est celui du positivisme à tout prix. “Aujourd’hui on cherche à annihiler la capacité des gens, et en particulier celle des femmes, à dire non. Connaître et accepter ses limites est extrêmement important pour l’être humain. Parfois, il faut savoir renoncer à un idéal pour avancer.” La psychologue met en lumière une forme de conformisme qui se cache derrière chacune de ces méthodes, niant l’existence même de l’imperfection. Un conformisme dangereux car la notion de femme parfaite - un carcan imaginé par le patriarcat pour réprimer les femmes - se nourrit de clichés de genre, de standards impossibles à atteindre, d’inégalités sociales et de culpabilité. Au-delà de son antiféminisme criant, l’idée de femme parfaite représente autant une menace à la solidarité féminine qu’à l’empowerement individuel.
Face aux injonctions : apprendre à dire non
Comment résister face à cette multitude d’injonctions? Pour Marianne Power qui vient de sortir un second livre sur les joies d’un célibat assumé, titré “Love Me!”, une solution concrète existe. “Aucun être humain n’est parfait et tant mieux ! Essayer douze méthodes différentes de développement personnel m’a permis de prendre conscience que je n’avais pas réellement besoin de changer. Je pense qu’il faut tendre à accepter l’existence d’aspects de nous-mêmes que nous n’aimons pas. La plupart d’entre nous avons le sentiment d’être inadéquates mais ce n’est pas une “solution” que de dépenser des fortunes pour suivre des règles imaginées par un inconnu.”
De son côté, Laure Fillette rappelle l’importance de fixer et respecter ses propres limites. “Les femmes ne sont pas tenues d’être plus résilientes que les hommes”, souligne-t-elle. “On n’insistera jamais assez sur l’importance de l’importance de savoir dire non”. Le ton est donné. Face aux diktats anti-féministes, le mot d'ordre c’est non.