Pourquoi les héros dans les séries ne datent jamais sur les applis ?
Il y a un gouffre entre le succès des rencontres en ligne dans la vie réelle et la façon dont elles sont représentées à l’écran. La culture populaire dépeint rarement des relations amoureuses durables nées sur les applications de rencontre. Pas assez magiques ?
Écrit par Marion Dos Santos Clara le
Un quart des Français ont rencontré leur partenaire sur Internet, selon les données Statista de 2022. Les sites et applications de rencontre jouent désormais un rôle prépondérant dans la formation des couples. D’après une étude de l’Ined menée en juin 2024, il s'agit du troisième mode de rencontre des jeunes de 18 à 29 ans. Pour autant, le potentiel romantique des applications de rencontre ne se reflète pas dans la pop culture.
Dans les films et les séries, les rencontres IRL(in real life, ndlr) règnent toujours en maître. Dans Tout sauf toi de Will Gluck, sorti en 2023, Bea et Ben se croisent pour la première fois dans un café. Dans la série Nobody Wants This, sortie en 2024, Joanne et Noah se rencontrent lors d’un dîner chez une amie commune. On aurait pu penser qu’Emily Cooper (Emily in Paris), la plus Française des Américaines, aurait profité d’être dans la ville de l’amour pour télécharger Bumble, mais l’héroïne de Netflix multiplie les "heureux hasards". Gabriel est son voisin du dessous, elle fait la connaissance d’Alfie dans un cours de français, et Marcello, son dernier crush, vient à sa rescousse après une chute de ski...
Décidément, pour nos personnages de série préférés, le dating sur les app, c'est pas super sexy.
Meet cute et dating apps : ça ne matche pas
Il est rare que les protagonistes d’une comédie romantique se rencontrent en ligne. Oui, il y a bien eu Vous avez un message, mais c’était à la fin des années 1990, lorsque le dating en ligne n’en était qu’à ses balbutiements. Joe (Tom Hanks) et Kathleen (Meg Ryan) ne se rencontrent pas sur un site de rencontres mais dans un chatroom réservé aux plus de 30 ans et poursuivent une correspondance, sans se rendre compte qu’ils sont rivaux en affaires dans la vie réelle. Et hop, voilà notre tropeenemies to lovers, pilier des romances.
Pour Flore Bardet et Clara Cauvy-Poudevigne, créatrices du podcast RomComment ?, la rencontre spontanée de l’âme sœur reste le récit dominant dans la culture populaire. “ll y a une prévalence du meet cute, qui comme son nom l’indique signifie « rencontre mignonne ». C’est LA rencontre fortuite avec un love interest, et on a encore du mal à associer les apps de dating à un meet cute”, avance Flore Bardet. Dans la comédie romantique The Holiday (2006), Arthur (Eli Wallach) le décrit ainsi à Iris (Kate Winslet) : “C’est la façon dont deux personnages se rencontrent dans un film. Disons qu’un homme et une femme ont tous deux besoin d’un vêtement pour dormir et qu’ils se rendent au même rayon de pyjamas. L’homme dit au vendeur : « Je n’ai besoin que d’un bas ». La femme dit : « J’ai juste besoin d’un haut ». Ils se regardent l’un l’autre, et c’est le meet cute”.
Le modèle de l’amour romantique du XIXe siècle perdure dans notre imaginaire. On voudrait une rencontre inattendue, avec toujours l’idée que l’amour devrait nous tomber dessus ou relever du destin. Or, avec les applications et les sites, on provoque une rencontre lorsque l’amour est censé venir à nous. “Sur les applications, c’est rare de faire un swipe et trouver le bon ou la bonne. Il faut faire des efforts et forcer le destin, mais c’est plus réaliste”, estime Flore Bardet. “Les personnes que je reçois dans mon cabinet me disent à quel point leur réalité est mal représentée par les films. La possibilité de succès avec les applications de rencontre est totalement absente, ce qui entraîne un sentiment de solitude vis-à-vis des représentations médiatiques”, confirme Aurore Malet-Karas, thérapeute et experte en relations et sexualité pour Bumble.
Où sont les couples heureux online ?
Les applications de rencontre ne sont pas totalement absentes des histoires d’amour modernes (ouf !). Dans le film Premières Vacances (2018) par exemple, Marion (Camille Chamoux) et Ben (Jonathan Cohen) se rencontrent sur Tinder. Mais les couples heureux qui se forment en ligne dans les séries ou les films sortis au cours des dix dernières années restent aussi rares qu’avoir pour voisin un chef cuisinier qui ressemble à Lucas Bravo.
Lorsqu’elles ne sont pas tournées en dérision et satiriques, les apps illustrent une distraction par rapport au chagrin d’amour du protagoniste ou à son véritable intérêt amoureux – quelqu’un qu’il a rencontré dans la vie réelle. “C’est souvent mentionné par le ou la meilleur.e ami.e qui dit « tu devrais te mettre sur les apps » et l’héroïne qui lui répond « mais tu sais bien que je déteste ça »”, image Flore. Un cliché que l’on retrouve dans I Love America (2022), où le personnage de Lisa incarné par Sophie Marceau accepte de se plier au jeu de la séduction 2.0, poussé par son meilleur ami Luka.
Dans la deuxième saison de Master of None, Dev, le personnage d’Aziz Ansari, emmène plusieurs femmes rencontrées sur une application de dating pour une série de rendez-vous presque identiques, façon speed dating. Mais aucune ne se démarque, puisque Dev se languit d’une femme qu’il a rencontrée IRL. Le premier épisode de la saison 2 d’Insecure commence avec Issa (Issa Rae) dans un montage similaire de premiers rendez-vous, après sa rupture avec Lawrence. On assiste aux mêmes questions ennuyeuses de ses dates “Depuis combien de temps es-tu sur Bumble / Hinge ? Comment se fait-il que tu sois toujours célibataire ?” et à ce qu’Issa aimerait pouvoir répondre honnêtement : “Je suis ici parce que mon ex ne veut pas me reprendre”.
Si vous avez déjà expérimenté les applis de rencontre, vous savez que ces scènes dépeignent ce que les célibataires ne connaissent que trop bien : la dating fatigue, ce sentiment de submersion et de pression lié à la démultiplication des applications et à l’accumulation de choix. Mais qu’en est-il des personnes qui ont rencontré leur partenaire en ligne ? Ou de celles qui essaient sérieusement de trouver l’amour par swipe ? Difficile de s’identifier. Cette image peut créer des formes de prophéties autoréalisatrices : certains se disent qu’il n’y aura rien de sérieux et donc ne s’investissent pas dans les relations nouées. “Il me tarde de voir des personnages qui ont des histoires qui ressemblent à la mienne et à celle de mes amis”, déclare Clara Cauvy-Poudevigne, qui a rencontré sa partenaire sur le réseau social X.
Des récits moins cinématographiques… mais plus réalistes
“Les comédies romantiques ont entraîné des standards irréalistes, notamment sur les débuts de relation. On parle de plus en plus de slow dating, de mindful dating, de micro-romantisme : ce sont des aspects très sains des rencontres mais qui ne sont absolument pas représentés à l’écran, parce que le cinéma a besoin d’une histoire, d’un narratif, d’éclat…”, détaille Aurore Malet. Rencontrer quelqu’un via une application ne ressemblera jamais à une comédie romantique hollywoodienne, mais ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. “Il y a beaucoup d’aspects du romantisme tel qu’il est dépeint par Hollywood qui sont toxiques. Et il peut être parfois beaucoup plus sain d’établir une connexion sur une application de rencontre”, rappelle l’experte.
Autre explication plausible à l’absence de love stories sur les applis selon Flore Bardet : la difficulté à les rendre attrayantes visuellement. “Je pense qu’il est difficile de montrer une relation en ligne d’un point de vue cinématographique. Mettre en scène le virtuel peut se révéler périlleux pour que ça n’ennuie pas les spectateurs”. Un argument soulevé par le monteur Tony Zhou dans sa vidéo YouTube en 2014 “A Brief Look at Texting and the Internet in Film”, qui compile les différentes méthodes d’adaptation des textos et d’Internet au cinéma et à la télé. Mais le succès de la série Amours Solitaires, adaptée du célèbre compte Instagram, sur france.tv montre qu’il est possible d’explorer avec sensibilité les nuances des relations contemporaines. Les SMS ponctuant la série sont superposés à l’image “de manière minimaliste”, selon les réalisatrices Louise Condemi et Marguerite Pellerin, et agissent même comme un “moteur dramaturgique”.
Ce n’est peut-être qu’une question de temps avant qu’un personnage de série ou film ne trouve l’amour en ligne.“Les romcoms sont pour l’instant en grande partie écrites par des gens qui ne comprennent pas le fonctionnement des réseaux sociaux et ont les a priori les plus clichés”, souligne Clara Cauvy-Poudevigne. “Il y a de plus en plus de femmes dans ces milieux-là, ce qui va amener un meilleur prisme de vision des rencontres en ligne. Les nouvelles générations vont vouloir parler de leur réalité tout simplement”, abonde Aurore Malet. Quand elles fonctionnent, les applications de rencontre peuvent être romantiques. En attendant qu’une bonne romcom à l’ère du dating online voit le jour, certaines marques s’emparent des codes des comédies romantiques pour les réinventer, à l’image de Tinder et sa campagne “It Starts with a Swipe” en juillet 2024 : “Des rencontres mignonnes se produisent tous les jours sur Tinder, mais pas comme dans les films”, scande la voix off. Peut-être qu’il n’y a pas de mains qui se frôlent en cherchant le même livre à la bibliothèque, mais les papillons dans le ventre, le désir et l’excitation se ressentent même à travers un smartphone. Et si c’était ça la magie des rencontres modernes ?