Cannes 2024 : Une sélection officielle féminine et féministe

La grand messe du cinéma bat peut-être son plein, mais il est toujours essentiel de revenir aux fondamentaux... Comme, par exemples, les réalisatrices sélectionnées cette année en compétition officielle. On vous dit tout.

Écrit par Juliette Gour le

Alors que le festival de Cannes est à mi-parcours, l'heure est déjà au bilan. Si comme d'habitude, cette grande fête du cinéma met en lumière les réalisateurs du monde entier, la sélection de cette année semble résolument tournée vers la création féminine. Si l'édition 2023 était un record de féminisation dans la sélection officielle, elles sont cette année 4 en lisse pour la Palme d'Or. Si les quotas de parités restent encore un doux fantasme, les choses se mettent en place pour, petit à petit, laisser plus de place aux femmes.

L'évènement a longtemps remisé les femmes au second plan : sur le tapis rouge, elles étaient évidemment les bienvenues (en talons hauts seulement), elles restaient les grandes absentes des sélections. Mais avec Greta Gerwing comme présidente du jury, impossible de laisser les femmes sur le banc de touche (et il était temps). 30 ans après le triomphe de Jane Campion, cette 76eme édition du festival de Cannes laisse enfin une (petite) au beau sexe, n'en déplaise au vieux réacs. Et s'il reste évidemment encore beaucoup de chemin pour arriver jusqu'au fantasmé 50/50, les choses évoluent petit à petit. 

Avec un peu de chance, cette édition sera également celle qui récompensera une nouvelle fois une femme (3 en 77 ans, ça reste évidemment trop peu). S'il n'est évidemment pas question de faire de la discrimination positive, chez Les Éclaireuses, on a décidé de mettre en lumière les 4 femmes en sélection officielle et leurs créations, toutes uniques en leur genre

Bird, d'Andrea Arnold

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Premier film de la sélection féminine du cru 2024 : Bird, un film sur la jeunesse torturé, avec un casting divinement léché. Télérama a titré sa critique par un "Envol Sauvage de la Jeunesse" et c'est exactement ce que ce film offre, un overview sous acide d'une jeunesse torturée. C'est un film social, qui traite de sujets encore tabous : violence, précarité, famille dysfonctionnelle... Des sujets sur lesquels on a encore tendance à être trop pudiques, alors qu'ils sont la réalité de beaucoup.

Saluée par une standing ovation de 11 minutes, cette nouvelle réalisation signée Andrea Arnold a déjà tout d'un succès. Il a su séduire le public bec fin de Cannes et séduira à coup sûr le public à sa sortie en salle. La réalisatrice n'en est pas à son coup d'essai pour Cannes, son travail a déjà reçu plusieurs distinctions lors du festival, en 2006 pour Red Road (Prix du Jury), en 2009 pour Fish Tank (Prix du Jury) et en 2016 pour American Honey (Prix du Jury). Ne lui manque finalement qu'une Palme d'or pour compléter son palmarès.

The Substance, par Coralie Fargeat

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Qualifié de "Flesh Opera", ce film d'horreur s'inscrit dans la lignée de Titane : un film dérangeant, qui n'a pas peur de montrer ce que l'on ne doit pas. Rares sont les films d'horreur à provoquer l'hilarité du public, mais The Substance a réussi cet exploit. Demi Moore, sculpturale, tient le premier rôle dans ce film qui se veut volontairement gore et violent. Mais rien de gratuit dans cette création, si violence il y a, elle n'est là que pour servir le récit. Film d'horreur délicieusement féministe, il se veut critique de ces pressions que les femmes subissent au quotidien : jamais trop maigre, jamais assez belle, jamais assez jeune... La liste est sans fin. En tournant la situation au grotesque, le film se joue de ces codes et met en lumière l'absurde de cette nécessité à être toujours "parfaite". Dans un contexte où le #MeToo plane encore sur le monde du cinéma, le film s'inscrit dans une longue lignée d'œuvres qui dénoncent et qui bousculent les codes. 

La réalisatrice française gagne, avec ce film, sa première sélection à Cannes et est en compétition pour la Palme D'or. Résultat samedi 25 mai.

All We Imagine as Light, par Payal Kapadia

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Autre film réalisé par une femme et autre sujet - mais non moins féministe - celui de la situation des femmes indienne, dont une infirmière de Mumbaï, coincée dans un mariage arrangé (qui ne l'arrange pas plus que ça). C'est un drame indien, bien loin des clichés de l'image que l'on se fait des films Bollywood et c'est sûrement pour cette raison que cette œuvre a su séduire le jury de Cannes. On oublie parfois trop facilement que le quotidien des femmes n'est pas équivalent dans tous les pays et que ne serait-ce qu'entretenir une relation hors mariage peut devenir un véritable obstacle du quotidien. Payal Kapadia a décidé d'illustrer ce quotidien des femmes que l'on n’entend pas, des indiennes qui ne peuvent ni aimer, ni se marier librement. 

Déjà récompensée en 2021 pour son documentaire "Une nuit sans savoir", elle est cette année en compétition officielle avec son film All We Imagine as Light. C'est la première fois depuis 1994 qu'un film indien est à la sélection officielle. Elle est également la première femme indienne à présenter un film à la sélection et ça, c'est déjà un évènement qui mérite d'être salué.

Diamant Brut, par Agathe Riedinger

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Premier film et première sélection pour Agathe Riedinger, une belle performance, déjà saluée par le public, Diamant Brut est un film unique en son genre qui s'attaque à un thème assez inédit : celui des téléréalités. Si le public est naturellement enclin à bouder ce type de contenu - considéré comme vide de sens - Agathe Riedinger a décidé de dénoncer le mépris de classe qui se cache derrière ses émissions télé. Le film parle de ses jeunes filles qui rêvent des paillettes qu'elles voient sur les réseaux sociaux, de l'appel des sirènes de la téléréalité, des diktats de la beauté et de la condition des femmes dans ces programmes. Sous couvert de légèreté, c'est finalement un film qui parle à plus de monde qu'on ne le pense, surtout si l'on pense aux nouvelles générations, biberonnées à Instagram, en quête permanente de fame éphémère mais intense. 

Pour beaucoup, la proposition d'Agathe Riedinger est le vent frais de cette sélection. En offrant sa vision, elle offre également celui de tous ces kids du début des années 2000 qui ont passé leurs soirées devant les primes de Secret Story, rêvant en secret d'être eux aussi un jour sélectionné pour faire partie de l'aventure.

Quatre femmes donc, pour quatre films qui présentent une vision du féminisme. La note de service était claire pour le jury de la sélection officielle : si réalisatrice féminine il y a, ça doit être pour un film qui a quelque chose à raconter. Difficile de dire que le brief n'a pas été respecté tant ces 4 femmes représentent la diversité de ce que le féminisme à l'image peut être. 

On a maintenant hâte de voir comment le public (pas cannois) va accueillir ces créations.

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