Pourquoi Doechii est sur toutes les lèvres en 2025

Doechii, étoile montante du rap américain, secoue la scène musicale avec son style inclassable et son univers débridé. Validée par Kendrick Lamar et nominée aux Grammys 2025, le nom de la jeune artiste est sur toutes les bouches. Décryptage.

Écrit par Alice Legrand le

Elle détonne et étonne par sa capacité à jongler entre des influences multiples et des genres variés. Véritable boule d’énergie et de créativité, la rappeuse, chanteuse et performeuse originaire de Tampa, en Floride, a fait une entrée fracassante sur la scène hip-hop grâce à des titres viraux, des clips à l’imagerie soignée et une présence scénique à la Missy Elliott.

Après sa signature au mythique label Top Dawg Entertainment (TDE) - à qui l'on doit déjà l’émergence de Kendrick Lamar, SZA ou Schoolboy Q -, Doechii trace son chemin vers les sommets.

Le 2 février 2025, elle défendra son (excellent) projet Aligator Bites Never Heal sur la scène des Grammys, où elle est triplement nommée, notamment pour le titre de Meilleure Nouvelle Artiste, celui de Meilleur Album Rap/RnB et celui de Meilleure performance rap, avec son titre NISSAN ALTIMA. Bref, Doechii, c’est une rookie qui a déjà tout d’une grande.

Mais au-delà des stats et des multiples validations de ses pairs, Doechii incarne surtout une nouvelle manière de penser le rap. À l’heure où les artistes sont souvent résumés à une image ou un style, l’artiste polymorphe, elle, envoie tout valser.

Un melting-pot d’influences qui fait mouche

Pour comprendre l’univers de Doechii, il faut d’abord saisir sa polyvalence artistique, qui lui permet de se distinguer dans un paysage hip-hop souvent formaté. Caméléon du rap, la jeune femme a toujours refusé d’être cataloguée, et ce depuis ses débuts sur YouTube en 2016. Aujourd’hui, à 26 ans, elle s’impose comme une artiste inclassable, capable de passer du rap pur et dur à des morceaux mélodiques qui flirtent avec le R&B, la pop et même le rock alternatif.

Pour Nicolas Rogès, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages sur le rap - notamment Kendrick Lamar : de Compton à la Maison Blanche et Boulogne : une école du rap français -, l’influence de Missy Elliott est évidente. “Missy Elliott n’avait pas peur d’être radicale dans sa proposition, à la fois musicale et visuelle. C’est l’une des premières artistes à avoir fait ses clips comme s’il s’agissait de films. Aussi, elle mixait de nombreux styles : un peu d’électro, un peu de soul, un peu de RnB et surtout beaucoup de rap… Tout comme Doechii finalement”. Les deux stars ont bien des choses en commun, “le courage artistique et leur liberté créative” étant les plus inspirantes.

Doechii aurait aussi en elle un peu d’Erykah Badu, grande chanteuse de néo-soul. On reconnaît dans la proposition musicale de Doechii le “faux-minimalisme” si caractéristique de la chanteuse basé sur un rythme épuré mais un univers artistique et musical hyper riche.

Face A, Face B, on est fan

Le public averti l’a connu avec Yucky Blucky Fruitcake, un morceau sorti en 2020, qualifié d’introspectif et décalé, devenu viral sur TikTok - la vraie rançon de gloire. Depuis, elle n’a cessé de surprendre son public avec des projets toujours plus ori-géniaux et la sortie de son troisième album Alligator Bites Never Heal. En couverture, l’artiste, toute de vert vêtue, un alligator albinos sur les genoux, en clin d'œil à la Floride, son État de naissance. Une mise en scène très soignée dans laquelle on ressent sa passion pour la mode et le cinéma.

Si Doechii rassemble un public aussi varié, c’est parce qu’elle est le produit d’un rap polymorphe, qui s’ouvre de plus en plus. “Les frontières entre les genres sont plus que jamais brouillées et il est parfois difficile de savoir ce qu’on écoute. Doechii se trouve au carrefour de cette tendance. C’est pas la première à le faire, évidemment, mais elle le fait avec beaucoup d’attitude et de charisme, et un univers visuel très marqué. En 2025, les clips semblent avoir moins d’impact, pourtant, elle remet beaucoup d’importance sur l’aspect visuel de sa musique”, nous explique Nicolas Rogès. Et ça marche.

Cette capacité à jouer avec les styles se reflète aussi dans son esthétique visuelle : des clips aux accents théâtraux, où elle arbore des costumes extravagants et incarne des personnages multiples, tel un caméléon. Son fort attrait pour les technologies contribue à donner un aspect un peu futuriste à ses performances. Ses clips, souvent comparés à des mini-films (jetez un oeil à "DENIAL IS A RIVER” ou “Alter Ego” pour vous faire une idée), montrent une artiste qui maîtrise tout : des choix visuels percutants, des punchlines grinçantes et une envie de brouiller les pistes en permanence.

Succès en vue, performances au sommet

Cette hybridation, mais aussi cette ultra attention aux clips, c’est l’ADN de son label TDE. D’après Nicolas Rogès, c’est aussi ce qui explique son succès : “elle a mis une claque à tout le monde avec ses clips qui sont incroyables et qui font partie des plus léchés et solides du moment”. Et lors de ses performances live, son univers éclectique reste le même. Parmi ses apparitions les plus marquantes, on se souvient de son invitation au Late Show de Stephen Colbert, qu’elle a honoré d’une prestation iconique dansée et chantée. Deux jours plus tard sortait son concert intimiste Tiny Desk, rendez-vous incontournable de tout bon passionné de musique.

Mais dans un monde obsédé par l'image, Doechii, de son vrai nom Jaylah Hickmon, impose bien plus que son esthétique : elle affirme sa voix. Sans filtre, elle chante son parcours personnel, ses ego-trips, et sa vision acérée de l’industrie musicale. Sa musique, profondément intime et terriblement explosive, repose sur des textes où se croisent introspection et revendications, offrant une authenticité encore (trop) rare dans le milieu. Doechii aborde des thématiques puissantes, telles que l’anxiété, la santé mentale ou la sexualité : “La musique a toujours été pour moi un moyen de raconter mon histoire. Une façon de parler de tout ce que j’ai traversé et appris, à travers le regard d’une femme noire”, expliquait-elle lors d’un discours au Variety Hitmakers Brunch.

Et c’est précisément cette sincérité qui résonne auprès d’une génération avide de figures qui osent briser les normes. Si son impact dans l’évolution du rap féminin est encore difficile à évaluer, une chose est certaine : elle marque déjà les esprits. Kendrick Lamar ne mâche pas ses mots à son sujet : “The hardest out” – ou, en d'autres termes, “le meilleur projet actuel”.