Sabrina Carpenter qui parle de sexe, ça vous dérange ?

Avec ses chansons torrides, ses shows sexy, son allure désinvolte et décomplexée, la chanteuse rend cool, normal le fait d’être “horny” et d’aimer le sexe.

Écrit par Marion Dos Santos Clara le

Tout chez Sabrina Carpenter respire la sensualité. Elle chante, sans honte, une “super alchimie au lit” avec son crush, érige la lingerie en art en dévoilant des dessous toujours plus glamour telle une Betty Boop de la gen Z, commercialise un maillot de football orné d’un énorme “69” et multiplie les positions suggestives lors de l’interprétation de son tube “Juno” pendant sa tournée “Short n’ Sweet”, qui s’arrêtera en France en mars 2025. 

Celle qui, du haut de ses 25 ans domine les charts, est devenue une pop princess, et mieux encore, un sex-symbol pour les femmes, en assumant sa sexualité et sa féminité. Et ça n’a rien d’anodin.

On connaît toutes ses positions préférées

Sur son titre “Bed Chem”, la pop star multiplie les sous-entendus tout en faisant un clin d'œil à sa romance avec l’acteur irlandais Barry Keoghan. “Come right on me, I mean camaraderie” (Viens sur moi, je veux dire camaraderie), dit-elle sur des synthés sexy.

Le controversé “Juno” va encore plus loin : dans cette chanson dans laquelle elle déclare sans détour “I’m so fuckin’ horny” (Je suis tellement excitée), Sabrina Carpenter a pris l’habitude de prendre une position suggérant un acte sexuel “have you ever tried this one ?”, qui signifie “as-tu essayé celle-là ?”, allant jusqu’à mimer une fellation qu’elle donne, le micro servant de verge. Il n’en fallait pas plus pour susciter l’indignation des conservateurs.

Si le monde a découvert Sabrina Carpenter sur “Espresso” (nous y compris), les fans de la chanteuse savent pourtant que ses textes sont très explicites. Lors de sa tournée emails i can’t send - son quatrième album sorti en 2022 - elle avait fait des outros de “Nonsense” une véritable tradition, redoublant de créativité pour inclure des paroles improvisées en fonction de chaque ville. “Il est si gros, je l’ai senti dans mes reins”, a-t-elle chanté à Sydney.

Sabrina Carpenter s’inscrit dans la lignée de princesses de la pop comme Britney Spears ou Christina Aguilera qui ont clamé leur droit à être érotiques. “Ce qui est intéressant avec elle, c’est qu’il y a toujours un pas de côté. Elle en joue beaucoup, que ce soit dans les paroles de ses chansons, ses clips ou ses tenues sur scènes, mais elle revendique aussi qu’elle ne prend pas ce sujet très au sérieux et s’amuse”, explique Morgane Giuliani, journaliste spécialiste de pop culture et autrice de Féminismes et musiques(éditions Le Mot Et Le Reste). “C’est aussi une persona qu’elle s’est créée pour sa carrière”, poursuit-elle.

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Photo by Graham via GettyImages

Dans une interview donnée à Rolling Stone en juin, Sabrina Carpenter explique écrire sur le sexe, parce que ce sujet lui semble “authentique” : “Ces moments où je suis juste une fille de 25 ans super excitée sont aussi réels que lorsque je traverse une période de chagrin d’amour, que je suis malheureuse et que je me sens différente”. La sexualité assumée de Sabrina Carpenter devrait être célébrée, relève Buzzfeed. Et si certains fustigent cette sexualisation (n’hésitant pas à verser dans leslut-shaming), d’autres y voient une forme de féminisme moderne et “sex-positive”. “C’est aussi le reflet de notre société où les filles essaient d’embrasser leur sexualité et d’y trouver une légitimé, du plaisir et ne plus ressentir de honte vis-à-vis de ça”, défend la journaliste Morgane Giuliani. 

Un affranchissement par la sexualité

Depuis qu'elle est passée de l’enfance Disney Channel (petit ange parti trop tôt) à la pop star adulte, Sabrina Carpenter est la cible de critiques qui lui reprochent d’être “trop sexuelle”, compte tenu de sa base de fans supposée jeune. Difficile de ne pas voir de parallèles avec d’autres anciennes stars de Disney comme Miley Cyrus : Emmeneriez-vous des enfants voir Miley ?”, demandait un article de CNN publié à la suite de la prestation tristement célèbre de la chanteuse aux MTV Video Music Awards, où elle mimait des actes sexuels. “Pour celles qui ont démarré par Disney ou Nickoledeon durant leur adolescence voire leur enfance, passer par la sexualité est un moyen de s’affranchir de cet univers très enfantin auquel elles ont été rattachées”, souligne Morgane Giuliani.

Notons que la sitcom “Le Monde de Riley” dans laquelle Sabrina Carpenter a explosé est terminée depuis 2017, et qu’il est normal qu’une artiste évolue. Pour Morgane Giuliani, la chanteuse ne devrait pas avoir la responsabilité de s’autocensurer alors qu’elle s’épanouit et explore d’autres voies. “Sabrina Carpenter ne fait pas de la musique pour enfants et n’est pas en train de tromper le public. Tout est très clair dans son imagerie. C’est aux parents d’être responsables et de se renseigner”, déclare la journaliste. L’intéressée ne semble pas se laisser abattre par les critiques. Dans une interview accordée au TIME en octobre, elle affirme : “Vous rencontrerez encore de temps en temps une mère qui a une opinion bien arrêtée sur la façon dont vous devriez vous habiller. Et à cela, je réponds simplement : ne venez pas au spectacle et ce n’est pas grave.

On ne va pas se mentir, c’est surtout de voir une jeune femme de 25 ans s’approprier totalement sa sexualité qui déplaît. Les artistes masculins, type Chris Brown, Jason Derulo ou Drake reçoivent rarement le même niveau de reproches au vitriol. Alors que l’on aurait pu espérer que les choses changent au cours de la décennie qui a suivi la prestation de Miley Cyrus aux VMAs, l’exemple de Sabrina Carpenter montre que la culture reste misogyne. “Les doubles standards sexistes sont encore bien prégnants dans l’industrie musicale et vis-à-vis de la parole médiatique et publique et ça ne bouge pas beaucoup même s’il y a des améliorations”, déplore Morgane Giuliani. Pour la sexologue clinicienne Margaux Terrou, cela reflète aussi le tabou qui entoure la sexualité féminine : “Les besoins des hommes sont valorisés, tandis que ceux des femmes sont muselés, parce que culturellement une femme qui ressent du désir est une pécheresse”. 

Sexe, humour et female gaze, la clé du succès

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Photo by Christopher Polk/Billboard via Getty Images

C’est précisément la raison pour laquelle il est rafraîchissant de voir une célèbre pop star parler ouvertement de ses désirs et embrasser sa sexualité avec autant d’enthousiasme. Ce faisant, elle combat le stigmate selon lequel, pour les femmes, la libido est quelque chose de honteux. “Cette artiste dérange parce qu’elle réussit quelque chose de magistral qui est de se réapproprier des codes qui sont traditionnellement associés au masculin : sexe, pouvoir et argent”, abonde Margaux Terrou. Car la pop culture influence notre sexualité et a le “pouvoir de renverser les normes”, rappelle la sexologue.

Si elle n’est pas la première pop star à oser parler de sexe, Sabrina Carpenter tire son épingle du jeu par son humour, en montrant que le sexe peut être agréable, léger et amusant. “Là où on a pu avoir certaines chanteuses qui sont rentrées dans une hypersexualité très premier degré, Sabrina Carpenter englobe ça dans beaucoup d’humour, de jeux de mots, de doubles sens et ça vient dédramatiser ce sujet”, constate Morgane Giuliani. L’autre force de la poupée pop réside dans sa capacité à revendiquer sa sexualité en évitant le male gaze (regard masculin).

Dans un post devenu viral sur X en septembre, une internaute écrit : “Sabrina Carpenter est géniale dans la façon dont elle assume sa sexualité tout en gardant les femmes comme public cible. Comment se fait-il qu'elle se produise en lingerie et que j'aie toujours l'impression que ce n’est pas du tout pour les hommes ? Je ne peux pas comprendre, mais j'adore ça”.

“J’invite vraiment les personnes qui pensent que ces stars féminines jouent le jeu du male gaze à se rendre à leur concert. C’est la meilleure preuve, car il y a un public très majoritairement féminin qui se sent permis de s’habiller comme il le veut. Ce sont des femmes qui se retrouvent à hurler lorsque Sabrina Carpenter révèle la couleur de son corset chaque soir”, confirme Morgane Giuliani. Une sorte de “safe place” pour célébrer et apprécier la sexualité féminine, sur scène et ailleurs.