Sexy, velus et pas tout à fait humains : les Monster Romances nous offrent un nouvel idéal amoureux (et des tentacules)

Vous avez probablement entendu parler du genre de la dark romance mais connaissez-vous la monster romance ? Phénomène littéraire aux États-Unis qui commence à déferler sur la France, il raconte l’histoire d’amour torride entre une humaine et un monstre.

Écrit par Fleur Hopkins-Loféron le

À la queue leu-leu, l’une après l’autre, des jeunes femmes viennent planter sur un gâteau l’effigie papier d’un partenaire sexuel potentiel, considéré comme honteux parce qu’il est étrange, difforme ou amusant. Cette trend, connue sous le nom de "Hear me out cake" ("Laisse-moi t’expliquer… ") ou "Smash cake trend" ("Je me le taperai bien") permet de voir à quel point la culture pop rebat les cartes de nos désirs et fantasmes. Loin de se limiter aux célébrités du grand écran ou aux musiciens, les drapeaux célèbrent fièrement le sex-appeal de créatures anthropomorphes, telles que Bowser, tortue-dinosaure issue de la franchise de jeux vidéo Super Mario, Shrek, l’iconique ogre vert ou encore Monsieur Patate, tiré de la saga Toy Story

@stephandwillow Ok but hear us out #hearmeoutcake#hearusout#cake#girlsnight#hearmeout#fyp#fyppppppppppppppppppppppp @Madison Morrison @yeah ♬ original sound - Steph&Willow

Si vous aussi vous pensez que le Prince Adam était bien plus attirant quand il ressemblait à une créature féroce dans La Belle et la Bête(1991) de Disney, que vous craquiez en secret pour Goliath du dessin animé Gargoyles, les anges de la nuit(1994-1997), que vous avez versé quelques larmes devant l’histoire d’amour entre Elisa et un être amphibien dans La Forme de l’eau(2017) de Guillermo del Toro, et que vous rêvez de trouver un monstre attachant plutôt qu’un croquemitaine dans votre placard à la manière de Laura dans Your Monster(2024) de Caroline Lindy, alors il est plus que temps de donner une chance à la monster romance. Vous avez même du retard à rattraper car elle compte déjà, selon le site référence romance.io, pas moins de 2000 titres au compteur. 

Et si on admettait enfin que King Kong est cruellement sexy ?

La prochaine fois que vous vous rendrez au Musée d’art de Nantes, laissez vos pas vous guider jusqu’à la salle 12, où est présentée la collection consacrée au XIXe siècle. Là, vous pourrez y admirer le groupe sculpté d’Emmanuel Frémiet Gorille enlevant une femme, récipiendaire d’une médaille d’honneur au Salon de 1887, alors même que sa version antérieure, depuis détruite, avait fait scandale au Salon de 1859. Si le sujet est audacieux, une femme raptée par un primate plutôt que le traditionnel enlèvement d’une nymphe par un satyre, son traitement l’est encore davantage. Sous la patte velue de la bête, la femme dénudée se débat et révèle ainsi ses formes voluptueuses. Le gorille, toutes dents dehors, va-t-il la dévorer, la violer ou la laisser partir ? Comme l’ont souligné bien des historiens de l’art, à l’image de la conservatrice du patrimoine Zoé Marty dans son article "De l’origine de King Kong. Historiographie et esthétique d’un mythe" (2015), ce groupe sculpté possède une influence colossale sur nos imaginaires. Il nourrit un prototype, que l’on peut évidemment faire remonter aux Métamorphoses d’Ovide, celui de la femme en détresse, enlevée ou prisonnière d’un être effrayant, où bestialité rime avec sensualité. On le trouve aussi bien chez Jean Cocteau, avec La Belle et la Bête (1946), film adapté du conte du même nom (1756) de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, chez Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack avec King Kong(1933) ou encore chez Jack Arnold avecL’Étrange créature du Lagon noir (1954). La monster romance, genre littéraire émergent en France, mais déjà très affirmé aux États-Unis puisqu’on le trouve facilement chez Barnes & Noble, marche sur ces traces en réinventant pour autant la recette : les femmes n’ont plus peur des monstres, elles en tombent carrément amoureuses !

Il est sauvage mais gentil et terriblement érotique

Mais qu’est-ce que la monster romance propose de différent par rapport aux histoires d’amour gothiques entre un vampire et une humaine, qui connaissent déjà un succès retentissant sur nos écrans, de Dracula (1992) de Francis Ford Coppola, en passant par Twilight (2008) de Catherine Hardwicke, jusqu’à Nosferatu(2024) de Robert Eggers ? Eh bien, pour commencer, les vampires ne font pas partie du bestiaire des monster romances. Vous y trouverez des gargouilles, des démons, des orcs, des centaures, des minotaures, des dragons, des ombres et des krakens, mais ni vampire, ni loup-garou, ni métamorphes (eh non, Bride d’Ali Hazelwood, tout récemment traduit en français, n’en fait pas partie). 

Le mot d'ordre de ce style bien particulier ? Le monstre y est anthropomorphe, mais en aucun cas humain, même temporairement. Les extraterrestres ont aussi la cote, comme le montre la saga-fleuve Ice Planet Barbarians (2015-en cours) de Ruby Dixon, et les autrices piochent allègrement dans les créatures phares de nos imaginaires, de la cryptozoologie avec le Basilic chez Lillian Lark (Entranced by the Basilisks, 2022), à notre folklore littéraire, en la personne du Minotaure de la mythologie grecque ou du cavalier sans tête de Sleepy Hollow, revisités respectivement par Lyonne Riley (My Minotaur Husband, 2024) et par C. M. Nascosta (Hollow, 2023).

L’autre différence majeure entre cette bit-lit (littéralement "littérature mordante") apparue dans les années 2000 avec des sagas comme Anita Blake de Laurell K. Hamilton ou Twilight de Stephenie Meyer, c’est qu’elle exploite différemment la veine de la fantasy urbaine. Dans les monster romances, l’histoire d’amour est fluffy, l’ambiance cosy et le monde quotidien, avec son lot d’ennuis familiaux et de tracas professionnels. Le monstre n’en a que l’apparence et il aime bien mieux préparer des gâteaux et des promenades à vélo que de croquer sa partenaire. En anglais, on appelle ça un cinammon roll character, soit un personnage fondant et moelleux comme un gâteau, jamais railleur et toujours au petit soin pour celle qu’il aime. Au fond, il représente l’amant idéal, qui apparaît souvent pour l’héroïne à un moment où elle doute de sa capacité à un jour retomber amoureuse ou à trouver chaussure à son pied. Comme le résume la spécialiste de romans sentimentaux Emily Keyes, "Vous ouvrez une monster romance pour ses prémisses, mais vous restez pour ses émotions".

C’est parce que le cadre de la monster romance est très souvent léger et humoristique, qu’il permet à l’inverse, de plonger en profondeur dans la psyché des personnages. Plusieurs héros et héroïnes comme Harper dans Two for Tea (2023)de C. M. Nascosta font l’expérience d’un deuil douloureux, de la perte de leur travail ou plus simplement de l’angoisse de ne pas être à la hauteur de la vie d’adulte. Accompagnés de leur futur partenaire, ils et elles font un chemin thérapeutique, où la communication est aussi importante que l’épanouissement sexuel. Justement, les personnalités et les corps des monstres sont prétextes, chez plusieurs autrices, pour donner toujours plus de représentation aux identités de genres et enjeux sociaux contemporains, en constuisant des personnages non-binaires, homosexuels ou transgenres, à l’image de Tentacles & Triathlons (2022) d’Ashley Bennett ou de The Orc and her Bride (2023) de Lila Gwynn.

Je me demande si ça va rentrer…

De toutes les monster romances, Morning Glory Milking Farm (2021)de C. M. Nascosta est celle qui a le plus participé à populariser le genre, avec pas moins de 14.000 avis sur Amazon et plus de 10.000 sur Storygraph. Violet, la vingtaine, accepte un emploi dans une ferme industrielle. Tous les jours, elle masturbe les minotaures qui se présentent à elle pour récupérer leur semence afin de concevoir des pilules érectiles pour les hommes. Sa vie bascule quand elle fait la rencontre du minotaure Rourke, qu’elle ne peut sortir de sa tête : "Elle se demandait si ça ressemblerait à ça d’être baisée par le grand taureau : un pilonnage lent et solide, profond et exquis, chaque coup de ses larges hanches la remplissant entièrement, une pensée qui échauffait son visage de honte, en même temps qu’elle mouillait d’excitation". Si la sauce prend, c’est parce que Nascosta maîtrise savamment le worldbuilding de son roman : les monstres habitent dans une petite communauté mixte de Cambric Creek et réapparaissent dans d’autres de ses romans. Les personnages ont des personnalités bien tranchées… et le sexe y est torride. D’ailleurs, si vous cherchez à en savoir plus sur la monster romance, vous aurez tout intérêt à taper #monstersmut, plutôt que #monsterromance sur les réseaux.

Comme le résume un.e contributeur.rice sur Reddit : "Je ne suis qu’une petite merde coquine qui aime les bites avec une drôle de forme". Cette fascination pour l’anatomie des monstres donne lieu à des tentatives de classification très sérieuses sur Reddit, qui répertorient les typologies de monstres en fonction de leurs facultés (sexe vibratoire pour l’extraterrestre Daz dans The Alien’s Ransom, 2020, d’Ella Maven) ou dispositions (sexe très large du minotaure Rourke dans Morning Glory Milking Farm de C. M. Nascosta, sexe qui se range dans une poche de chair quand il n’est pas utilisé, à la manière de celui du Wendigo Orpheus dans A Soul to Keep, 2022,d’Opal Reyne, plusieurs pénis, à la manière du dragon Sol dans The Dragon’s Bride, 2022, de Katee Robert).

Jamais gratuites, ces spécificités anatomiques sont là pour ouvrir le champ des possibles. À leurs côtés, les jeunes femmes expérimentent une sexualité libérée, qui s’essaye, sans tabou ou interdit, à des pratiques nouvelles pour elles, comme la double pénétration ou le sexe anal, en partie parce que le paysage sensoriel de leur partenaire, capable de voir les auras comme Bram dans The Gargoyle’s Captive (2023) de Katee Robert ou d’humer leur excitation sexuelle comme Orpheus dans A Soul to Keep d’Opal Reyne, renouvelle le leur : "Il y a une drôle d’odeur qui émane de toi […] Je ne l’ai jamais sentie sur toi […] Ça sent délicieusement bon". Le fait d’être face à une anatomie inconnue se propose comme une métaphore de l’initiation sexuelle. De même qu’elles découvrent le physique atypique de leur partenaire, elles apprennent à se laisser progressivement aller à de nouvelles expériences.

Si le contenu adulte, de Youporn à OnlyFans, déborde de vidéos montrant des jeunes femmes enfourchant une prothèse en forme de tentacule ou de pénis de dragon - voire capable de déposer des œufs en elles - ces sex toys, commercialisés par Bad Dragon ou par Deep Fantaisies, sont maintenant revendiqués par la communauté de lectrices de monster romances. Plutôt que d’en faire un objet de fantasmes pour les consommateurs de vidéos pornographiques, ces jeunes femmes achètent ces objets pour se donner du plaisir, solitaire ou en couple. Des autrices comme Opal Reyne, Tiffany Roberts ou L. E. Eldridge l’ont bien compris, au point de commercialiser en partenariat avec la boutique australienne Darque Path, un pénis inspiré par celui du Wendigo Orpheus (A Soul to Keep), de l’araignée Ketahn (Ensnared, 2021) ou du démon Amon (Snowed Inn (with a demon), 2022).

La monster romance est, à n’en pas douter, une communauté soudée. Elle possède ses groupes facebook, ses forums sur Reddit, mais aussi son propre fan art. Les autrices passent régulièrement commande à des artistes indépendants pour illustrer les couvertures de leurs romans, mais aussi proposer des images inédites sur leur Patreon par la suite. @Frankensteinsm2, @saagelius, @jimmyjimsjim, @bubbly_red, @bonkyconk et @orangemelon93, producteurs d’images NSFW, font partie des illustrateurs les plus en vue d’images érotiques, mettant en scène humains et monstres.

Sur ces couvertures, vous ne verrez jamais notre fameuse captive du gorille, cherchant à s’arracher aux bras puissants de son kidnappeur. Au contraire, les femmes prennent confortablement place sur le torse musclé de leur partenaire, à la manière de Mira contre Arges (Whispers of the Deep, 2024, d’Emma Hamm) ou d’Ivy avec Rekosh (The Weaver, à paraître,de Tiffany Roberts).

Alors, après tout ça, vous avez envie de vous jeter sur une monster romance ? Si vous lisez en français, mettez la main sur Une âme à prendre(2021) d’Harley Laroux ou sur le premier tome d’Ice Planet Barbariansde Ruby Dixon. Si vous lisez l’anglais, l’embarras du choix s’offre à vous, d’autant que Kindle propose beaucoup de ces nouvelles et romans dans son abonnement illimité. Pour bien commencer, préférez les incontournables, comme The Dragon’s Bride de Katee Robert, Morning Glory Milking Farm de C. M Nascosta ou Deceived by the Gargoyles (2022) de Lillian Lark. Bonne lecture.