En 2024, la France sépare toujours l’homme de l’acteur (problématique)

Le géant du cinéma s'est éteint dimanche matin à l'âge de 88 ans. S'il a contribué à faire rayonner la France à l'international, ses nombreuses sorties polémiques ont entretenu une image violente de l'homme que les hommages récents semblent totalement vouloir occulter.

Écrit par Alice Legrand le

Trois heures du matin, dimanche : c'est l'heure à laquelle l'acteur Alain Delon, qui souffrait d'un lymphome, s'est éteint. Très vite, les hommages ont commencé à pleuvoir. Sur X (ex-Twitter), le président Emmanuel Macron salue celui qui était "plus qu'une star : un monument français". Il détaille : "Monsieur Klein ou Rocco, le Guépard ou le Samouraï, Alain Delon a incarné des rôles légendaires, et fait rêver le monde. Prêtant son visage inoubliable pour bouleverser nos vies".

D'autres personnalités du cinéma français, ainsi que de nombreux médias ont également salué sa carrière. Retours sur ses films emblématiques, sur les femmes de sa vie, sur sa beauté unique ou bien sur sa relation avec ses enfants, les célébrations ont été nombreuses. Mais elles semblent toutes aller dans la même direction, celle qui oublie à quel point cet immense acteur a pu avoir des propos et des actes très problématiques.

Pourquoi tout le monde semble vouloir occulter la face plus sombre d'Alain Delon ?

Son idéologie réactionnaire, son amitié avec Jean-Marie Le Pen ou encore la fois où il a assumé, sur un plateau télé, avoir giflé sa femme... Tous ces faits pourtant majeurs semblent avoir totalement disparu de l'esprit des Français. Cette star du cinéma des années 50 semble être restée l'icône de cette France d'avant. Mais la France de maintenant, qu'en pense-t-elle ?

La France de 2024 n'accepte pas de voir pulluler uniquement des hommages positifs sur la toile. Et c'est d'ailleurs pour cela que nous réalisons cet article. Il est important de faire acte de toutes ces sorties de route que nous, nous n'avons pas oubliées.

Une misogynie exacerbée qui ne nous laisse pas de marbre

L'ex-compagnon de Romy Schneider ou encore de Mireille Darc n'a pas toujours été doux avec les femmes de sa vie. Il est un vrai habitué des femmes plus jeunes que lui, puisqu'il a entretenu une histoire avec Anne Parillaud, âgée de 21 ans alors qu'il en avait 46, ou encore avec la mannequin hollandaise et mère de ses enfants Rosalie Van Breemen, avec qui il avait 20 ans d'écart. Véritable symbole d'une "masculinité ombrageuse" comme le qualifie Libération, satête d'ange a fait qu'on lui a un peu tout pardonné.

Beaucoup de femmes ont été victimes de la misogynie de Delon. Il déclarait sans problème dans une interview menée sur France 2 : "Si une gifle c'est être machiste, alors oui j'ai déjà été machiste. Mais vous savez, j’en ai pris aussi des gifles, même des femmes"Hiromi Rollin, son ex-compagne, avait été accusée de l'avoir giflé alors qu'elle subissait régulièrement des violences et qu'il ne s'agissait que d'un acte de défense isolé.

Une autre histoire est particulièrement marquante, celle d'une journaliste qui, après une interview où il avait été impitoyable avec elle, avait reçu un bouquet de trente roses dont il ne restait que les tiges et les épines : les fleurs avaient été coupées. Il gardait aussi dans son portefeuille une photo de Romy Schneider morte, qu'il avait pris quelques jours avant ses obsèques.

Homophobie, racisme... Tout ce que l'on a préféré oublié de la star Delon

Si ses comportements problématiques avec les femmes ont été romantisés et amoindris, l'amour d'Alain Delon pour les armes et ses prises de position réactionnaires ont marqué les esprits. Publiquement, la star du Guépard s'est affichée riant aux éclats avec le leader d'extrême droite Jean-Marie Le Pen, avec qui il entretenait une grande amitié : "L'extrême droite, c'est quand même la droite. J'ai des points d'accord et de désaccord avec Jean-Marie Le Pen. C'est un ami de longue date. Je suis très sympathisant de M. Le Pen, point à la ligne".

Alain Delon avait aussi, entre autres, affirmé son soutien à Nadine Morano lorsque la députée LR avait évoqué "la race blanche". Il assumait donc complètement son positionnement politique et normalisait son racisme.

Ce n'est pas tout. L'acteur vouait aussi une haine profonde aux homosexuels : "Je suis désolé, c'est contre nature. On est là pour aimer une femme, pour courtiser une femme... Pas pour draguer un mec ou se faire draguer par un mec", expliquait-il en toute détente sur le plateau de C À Vous.Ça a le mérite d'être clair. Dans la même lignée, il s'était donc opposé à l'adoption pour les couples du même sexe à l'époque où le débat était d'actualité.

En 2024, comment rendre hommage à ces artistes majeurs mais controversés ?

Ce débat, éternel en France et ailleurs (mais surtout en France quand on parle d'hommes célèbres) reste donc toujours le même : faut-il séparer l'homme de l'artiste ? Attention, spoiler 2024 : non. Il serait important d'apprendre à accepter que nos idoles, nos monstres sacrés, ont plusieurs facettes, qui peuvent s'avérer parfois très destructrices.

Une génération d'hommes aux comportements douteux disparaît, mais les combats des médias féministes, eux, continuent bien. Comment glorifier un homme qui a fait du mal à d'autres personnes ? Dont les prises de paroles et comportements ont alimenté le système patriarcal et intolérant dans lequel nous vivons aujourd’hui ?

Alors quand on rend hommage à quelqu'un dont l'œuvre a marqué un secteur, il devrait être impensable de rogner une partie de la vie de cet artiste. Une vie ponctuée de controverses, de paroles et de coups qui peuvent blesser. Surtout lorsqu'ils sont si fièrement revendiqués.

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