IVG : Les réseaux sociaux sont-ils en train de devenir un outil massif de désinformation ?
Le moment est peut-être venu de tirer la sonnette d'alarme. Un récent rapport de la Fondation des Femmes met en lumière les nombreux outils de désinformation utilisés par les "pro-life" sur les réseaux sociaux. Et une chose est sûre, ça fait froid dans le dos.
Écrit par Juliette Gour le
Alors que le 16 janvier dernier, le président de la République Emmanuel Macron scandait haut et fort que la France avait besoin d'un "réarmement démographique", qu'en est-il de la question de l'IVG en France ? Si d'ici la fin du mois de janvier 2024, le gouvernement devrait présenter la constitutionnalisation de l'interruption volontaire de grossesse, tous les efforts sont-ils déployés pour éviter la désinformation autour de cet épineux sujet ?
Selon un récent rapport commandé par la Fondation des Femmes en janvier 2024, il semblerait que les contenus qui circulent sur les réseaux sociaux ne soient pas tout à fait en accord avec cette volonté d'inscrire l'IVG dans la Constitution. Pire, les plateformes sociales seraient aujourd'hui la première source de désinformation sur la question de l'interruption de grossesse. Le plus inquiétant, c'est que ces mêmes plateformes sont aujourd'hui le premier canal d'information des jeunes. Dans une étude menée en 2023 sur la question de la crédulité des plus jeunes, 41% des sondés avouaient utiliser régulièrement TikTok comme moteur de recherche.
S'il est évident que les réseaux sociaux sont une plateforme d'expression extraordinaire qui permet de libérer la parole sur de nombreux sujets, c'est également un excellent biais de désinformation sur des sujets clivants et ça, les "pro-life" (groupes anti-avortement) l'ont bien compris.
Le rapport livré par la Fondation des femmes tire d'ailleurs la sonnette d'alarme sur cette désinformation institutionnalisée qui évolue librement sur les différents réseaux sociaux. Groupes conservateurs et témoignages biaisés, les pro-life usent et abusent de subterfuges pour tromper les plus jeunes (et les plus crédules) dans le but de mettre à mal la liberté de disposer de son propre corps.
Décryptage.
Les réseaux sociaux sont-ils complices de la diffusion de fausses informations en ce qui concerne l'IVG ?
Le point de départ de cette vaste analyse du paysage social de la Fondation des Femmes est, en juin 2022, l'annulation de l'arrêt Roe V. Wade aux États-Unis. L'annonce a évidemment eu l'effet d'une bombe dans le monde entier, créant chez les femmes une grande chaîne de compassion envers les Américaines. Le problème, c'est que cet évènement - qui fait penser à un mauvais épisode de Handmaid's Tale - a également été le point de départ de toute une propagande anti-avortement sur les réseaux sociaux. Les pro-life, ayant à présent le champ libre, ne se sont pas privés de produire des contenus destinés à décourager les femmes ayant envie d'avoir recours à l'avortement.
Insidieux, ces contenus sont de plus en plus nombreux sur les réseaux sociaux, aux États-Unis, mais pas que. Comme une trend TikTok, les contenus sont lentement arrivés en Europe dans le but de rallier autant de personnes possibles à la cause.
Mais ce que nous apprend le rapport, c'est que les réseaux sociaux pourraient être complices de cette vague "anti IVG" qui prend de plus en plus d'ampleur en ligne. Les trois grands acteurs des réseaux ont été analysés - Meta (Facebook, Instagram), X (anciennement Twitter) et YouTube - et il semblerait qu'il n'y ait aucune volonté en interne de limiter ce type de contenus (même s'ils sont responsables de désinformation). Les algorithmes semblent même être calibrés pour proposer toujours plus de contenus autour de ce même sujet une fois l'engrenage enclenché.
Dans les faits, seul YouTube dispose de règles claires pour lutter contre certains types de désinformation sur l'avortement. Pour ce qui est de Meta et X, le premier a accepté 199 publicités anti-avortement entre 2022 et 2023, qui ont touché près de 9,5 millions de personnes (majoritairement des jeunes entre 13 et 17 ans) et le second se présente (fièrement) comme le Far West des réseaux sociaux, où tout semble possible, sans aucune restriction.
Qui sont ces grands acteurs de la désinformation ?
Il existe évidemment des "stars" de la désinformation sur les questions qui entourent l'IVG. La tendance des TradWives - ces femmes qui militent pour que les femmes reprennent la place qui est la leur au sein du foyer - n'est qu'une toute petite partie des types de contenus partagés sur les réseaux sociaux.
Fausses études, vidéos animées par des pseudos médecins, témoignages larmoyants, contenus chocs décrivant l'avortement comme un geste médical barbare, contenus religieux culpabilisants... Les pro-life ne manquent pas d'idées. S'il est évident que l'avortement peut être un acte traumatique pour les femmes, rien ne justifie pour autant de le diaboliser, surtout lorsque les informations partagées sont volontairement erronées.
En France, la page @Et_si_on_parlait_avortement est le meilleur exemple de la désinformation autour des questions de l'IVG en ligne. En parcourant le compte Instagram, les exemples de fausses informations ne manquent pas. La créatrice du compte affirme, par exemple, que "l'avortement est autorisé jusqu'à 9 mois par l'OMS". Dans les faits, jamais l'OMS n'a évoqué le fait de pouvoir autoriser l'avortement en fin de grossesse. Le rapport parle en réalité de la nécessité de permettre l'accès à l'avortement médicalisé à toutes les femmes pour des questions de sécurité.
Ce compte Instragram n'est qu'un exemple parmi tant d'autres des différents contenus visant à semer le doute sur l'avortement. Entre deux posts faussement bienveillants, la désinformation est bel et bien présente, sans aucune régulation de la part des plateformes.
Ce que dit la loi
En France, l'entrave à l'avortement est un délit, même si certains semblent ne pas en avoir conscience. Le texte a d'ailleurs été étendu en 2017 et permet de pénaliser les internautes cherchant à faire obstacle à l'avortement en dissimulant ses intentions. Typiquement, les pages faussement informatives sur la question, qui sont en réalité des outils de propagande, sont hors la loi.
Heureusement, dans le pays de la loi Veil, le militantisme pour la liberté des femmes à disposer de leur propre corps reste très présent. Nombreux sont les hommes et les femmes à monter au credo dès que la question est mise à mal. L'exemple le plus récent est peut-être la campagne d'autocollants menée par les associations pro-life sur les Vélib' à Paris. La mobilisation contre cet affichage a très rapidement été mise en place, mettant à mal cette opération de "com" anti-IVG.
Si la France semble un pays protégé par le retour de l'interdiction de pratiquer l'avortement, la méfiance doit rester de mise, surtout auprès des jeunes populations et tant que ce droit, considéré comme un droit fondamental par 80% des Français (selon un sondage Jean Jaurès publié le 5 juillet 2022), ne sera pas définitivement inscrit dans la Constitution.