“Je veux qu’on rende justice à cette enfant”, que retenir du procès d’Adèle Haenel
Ce lundi 9 décembre se tient le procès d’Adèle Haenel. Brisant un silence, l’actrice révèle avec force la vérité derrière les abus qu’elle a endurés. Son témoignage à la barre met en lumière les souffrances invisibles des victimes et rappelle les abus trop souvent dissimulés dans l’univers du cinéma.
Écrit par Erine Viallard le
Alors qu'elle jouait aux LEGO, Adèle Haenel - figure du mouvement #MeToo - raconte avoir subi des attouchements par Christophe Ruggia, du haut de ses 12 ans. Ce lundi 9 décembre, le procès de ce célèbre réalisateur français s'ouvre. Jusqu'à mardi il sera jugé pour "agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans par personne ayant autorité".
Devant le tribunal, Adèle décrit des attouchements sur les cuisses, la poitrine, et des baisers forcés dans le cou. Des faits qui se seraient passés au domicile parisien de Monsieur Ruggia, tous les samedis, alors qu'ils tournaient Les Diables - un film dans lequel la jeune fille avait le premier rôle. Pour ces actes, Christophe Ruggia encourt 10 ans de prison.
L'ancienne actrice attend ce procès de pied ferme, pour que justice soit faite et pour que l'enfant qu'elle était soit enfin crue.
Ce lundi, c'est le visage crispé de colère, qu'elle s'est rendue au tribunal, pour que justice soit faite, mais aussi pour pointer du doigt les failles de la justice. Elle revient notamment sur ses hésitations initiales à porter plainte, des réticences partagées par tant d’autres filles et femmes. Isolée par un homme qui l’a sexualisée et qui a collé, sur elle, "son regard poisseux", elle refuse désormais de se taire.
Un rôle qui aurait dû alerter
La première journée du procès commence fort. Alors que les portes de la salle 2.01 du tribunal correctionnel de Paris se ferment, Adèle surgit à l’image - une mineure aux joues rondes et aux dents de lait. 7 extraits du film de Christophe Ruggia, "Les Diables", sorti en 2002, sont diffusés à l’audience. C'est une Adèle Haenel nue sous la douche, nue sur un lit, qui se lèche les doigts et caresse son corps d’enfant ; qui est zieutée de tous. Mais cela ne s'arrête pas là, on la voit aussi nue dans une piscine, elle qui lèche les mains, le cou et les oreilles d’un petit garçon - dont on comprend qu’il a une érection.
Ces scènes rappellent l’étrangeté du film Les Diables, imaginé pour représenter la vie d'une jeune autiste "qui découvre son corps et s’éveille à la sensualité", comme l'explique Ruggia à la barre. Ce qui dérange, c'est évidemment la sensualité évidente des scènes, jouées par une jeune fille à peine pubère. Selon le point de vue de l'accusé, il n'y avait rien de déplacé à demander ça à la jeune actrice et affirme qu'elle "débordait de sensualité (...) comme Marylin Monroe".
Pour Adèle Haenel, le ressenti est tout autre. Ce film, elle aurait préféré ne jamais y jouer. "Je n’en parle jamais, j’ai honte", confie-t-elle. Bien qu’échec commercial, Les Diables avait été salué par la critique.
Des samedis cauchemardesques
Une vingtaine d'années plus tard, ces extraits alertent et traduisent finalement ce qu'a subi Adèle - alors que les caméras n'enregistraient plus...
À la barre, elle parle de ces samedis, ces 100 samedis - car elle les comptait tous. Il lui préparait son goûter préféré, des Fingers blancs et de l'Orangina, avant de se "coller" à elle et de "passer sa main sous son tee shirt, sur son ventre et sur son pubis". Il la ramenait ensuite chez ses parents, comme si de rien n'était. Un jour, dans la voiture, il lui aurait dit qu’il était amoureux d’elle, que leur différence d’âge était une malédiction, et "qu’elle était une adulte enfermée dans un corps d’enfant."
Elle fait part de ce sentiment d'obligation d'y retourner - cette emprise qu'elle nomme sans le savoir. La cause : des parents inexistants sur le plateau, "ils n'étaient pas là, quoi". Ruggia est devenu l’adulte référent de la vie d'Adèle en un claquement de doigts. Une proximité trop grande, qui l'a enfermé avec son bourreau.
Le cri d'une enfant devenue femme
Adèle Haenel affirme ne pas être "animée par la vengeance", elle veut que justice soit faite pour "cette enfant". Pour ces enfants victimes d'abus, le processus est toujours le même : réussir à briser l'emprise, mais surtout se reconnaître "victime". Un chemin long, qui, dans le cas d'Adèle, a pris des années.
À la barre, Adèle Haenel revient sur le moment où elle a pleinement pris conscience d’en être une - une victime d’attouchements. Ce jour-là, en lisant l’ORTC (ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, NDLR) rédigée par la juge d’instruction, elle découvre les termes inscrits noir sur blanc : "répercussions psychologiques massives sur la plaignante" et "agressions sexuelles sur mineure"."Je me suis dit : Wow ", confie-t-elle.
Elle dénonce ensuite la version embellie de Christophe Ruggia : "Il se raconte que c'est une histoire d’amour sulfureuse entre un grand réalisateur et une actrice en devenir. Mais quand moi, je dis que ce sont des agressions sexuelles... là, ça ne lui plaît plus !" tonne-t-elle."Ce qu’il refuse, c’est de se voir comme un agresseur d’enfant."
Face à ces accusations, Ruggia nie tout en bloc. Selon lui, Adèle lui en voudrait simplement de ne pas l’avoir choisie pour un second rôle. Une version qu’elle balaye avec colère. "C’est un gros menteur !" s’indigne-t-elle, fixant son ancien bourreau dans les yeux."Je le dis en vous regardant : vous êtes un gros menteur, Monsieur Ruggia !"
Son combat ne se limite pas à une affaire personnelle : Adèle Haenel incarne la voix de ces enfants victimes d'incestes, d'attouchements, de coups... Elle crie MeToo et justice.
Ce mardi 10 décembre - deuxième et dernière jour du procès - la procureure a requis cinq ans de prison, dont deux ans fermes pour Christophe Ruggia. Assortis d’une interdiction de contact avec Adèle Haenel et d’une inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles. Un tournant dans la quête de justice de l’actrice - et de toutes les autres victimes dans l'univers cinématographique.