Oui, Jane Austen a ruiné toutes mes relations amoureuses

Vous la voyez cette scène dans Orgueil et Préjugés, où Monsieur Darcy prend furtivement la main d'Elizabeth ? Non ? Pourtant c'est cette scène qui a influencé tout mon rapport au romantisme.

Écrit par Juliette Gour le

Oser dire que vous n'avez jamais eu affaire à Jane Austen, ce serait mentir. L'autrice a tellement influencé le genre romantique qu'elle est citée un peu partout, sans qu'on s'en rende réellement compte. Bridget Jones,Coup de foudre à Bollywood... Qu'on le veuille ou non, on a toutes été confrontées à un moment ou un autre à l'œuvre de Miss Austen.

Pourquoi cette figure de la littérature romantique séduit autant ? On pourrait croire que, passé le XIXe siècle, personne n'en aurait plus rien à faire des cancans des familles racées de l'Angleterre géorgienne. Mais, vu la longévité, il faut croire que l'autrice a fait bien plus qu'écrire des histoires à l'eau de rose.

En réalité, elle a fait évoluer le genre en apportant quelque chose de nouveau : des personnages masculins écrits par une femme et un female gaze qui nous a permis de voir l'amour autrement, mais surtout à travers un regard féminin.

Pionnière de son époque (et féministe avant l'heure)

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©Netflix - Persuasion

Rares étaient les femmes qui osaient prendre la plume au XIXe siècle. Mais heureusement, Jane Austen a grandi dans une famille plutôt progressiste et a été encouragée très tôt à lire par son père. Au fil des années, elle va nourrir son goût pour l'écriture et publie anonymement, à 36 ans (1811), son premier roman (Raison et Sentiments). S'en suit Orgueil et Préjugées en 1813, Mansfield Park en 1814 et Emma en 1816. Elle connaît finalement le succès et devient l'une de ses rares femmes louées pour leur talent.

On ne sait en réalité que très peu de choses de la vie de Jane (les preuves ayant été brûlées ou censurées par la famille). Mais on peut noter que c'était une femme sans enfant, sans époux et donc bien loin des conventions de l'époque. Elle avait mieux à faire que d'organiser des thés ou broder des coussins.

Pourquoi est-ce que son œuvre est notable ? Parce qu'elle a proposé une nouvelle vision du romantisme dans une littérature un peu embourbée dans ses vieilles habitudes. À travers ses romans d'amour, elle a popularisé le roman psychologique, centré sur la condition féminine, le tout avec un regard féminin. C'était du quasi-jamais-vu à l'époque et c'est sûrement pour cette raison que ça a plu. Les jeunes filles se reconnaissaient dans les récits et d'un salon à l'autre, on ne parlait plus que de ces histoires d'amour torrides, qui mettent en scène d'agréables Dandys (comprenez baiser sur la main et beaucoup de sous-entendus).

Au-delà même du sujet de ses romans, ce qui également séduit, c'est son approche de l'écriture, plus incisive, avec des traits d'humour au service de la critique. Austen n'écrivait pas sur la noblesse pour l'encenser, elle pointait du doigt les défauts et les règles, parfois surannées, du protocole. Elle était la queendu shade bien avant l'arrivée de Twitter (dans les dents Elon).

Elle y critique aussi la condition féminine, qui poussait parfois les jeunes filles à accepter un mariage de raison (comme Miss Lucas dans Orgueil et Préjugés) ou la nécessité de s'unir pour ne pas perdre le domaine familial. Ces œuvres permettent d'entrevoir ce qu'était le quotidien des femmes il y a plus de 200 ans et avec le recul, ce sont des témoignages plus que précieux.

L'art de maîtriser le female gaze

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Orgueil et Préjugés - 2005

Si l'on met de côté l'aspect progressiste de l'œuvre d'Austen pour se concentrer sur les histoires, il est nécessaire de parler du female gaze. Parce que si les romances austenniennes plaisent tant, c'est parce qu'elles nous permettent d'entrevoir un autre style d'écriture, divinement féminin, en opposition directe à l'écriture masculine. On dit merci Jane, parce qu'on en avait un peu marre des héros masculins qui passaient leur temps à se battre ou à... se battre.

Les aficionados du genre vous l'affirmeront : il est possible de savoir en quelques lignes si le personnage a été écrit par un homme ou par une femme.

Dans le cas de Austen, M. Darcy (qui est peut-être son héros le plus emblématique) est devenu avec le temps, le mètre étalon du "romantic hero" écrit par une femme.

Pourquoi ? Parce qu'il est intelligent, distant, mystérieux, un peu froid, n'est pas l'effusion... En bref, c'est un cérébral qui mûrit ses sentiments en silence, ce qui ne le rend que plus attirant. En bonus, c'est un homme qui vient compléter sa partenaire, sans la dominer et ça, dans le contexte patriarcal de l'époque, c'était un vrai coup dans la fourmilière (et ça l'est toujours).

Ce qu'elle a offert aux femmes, c'est la vision d'un personnage masculin profond, basé sur ses émotions et qui capable d'évoluer. C'était quelque chose de rare à l'époque (et ça l'est encore un peu aujourd'hui). En fait, elle avait compris avant tout le monde que ce qui rend un homme sexy, c'est sa capacité à se connecter à ses émotions, bien que cette forme d'intelligence ne soit que rarement louée dans l'éducation des petits garçons.

Si l'on s'amuse à comparer Darcy à d'autres personnages contemporains, on se rend rapidement compte qu'il en évince beaucoup : Heathcliff, dans Les Hauts de Hurlevent d'Emily Brontë, est un homme destructeur ; Rochester dans Jane Eyre est manipulateur. Dans les "idéaux" plus modernes, Chuck Bass est l'incarnation de la toxicité et on n'évoquera pas Edward Cullen, qui a tout d'un pervers narcissique.

Conclusion ? On veut toutes un Darcy, mais la réalité, c'est qu'on hérite souvent d'un Heathcliff sous stéroïdes.

Avec ses personnages masculins, Austen a tracé les contours d'un idéal qui, générations après générations, n'a cessé de se renouveler, si bien qu'aujourd'hui, on fantasme toujours autant sur Darcy (que l'on ait lu le livre ou vu le film) et ça, c'est un immense tour de force.

Une source d'inspiration pour toutes celles qui suivront

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Le Journal de Bridget Jones - 2001

Austen a posé les bases d'un nouveau genre et de nombreuses autrices s'en sont inspirées : Virginia Woolf, Charlotte Brontë, Helen Fielding... Elles ont toutes suivi l'exemple de la maestra, si bien qu'on ne sait plus où donner de la tête en matière de personnages masculins écrits par des femmes.

Ça prouve une chose : les histoires d'amour n'ont pas réellement évolué.

Ce que nous propose en réalité Austen, c'est une autre vision de l'amour, celle qui ne répond pas aux règles du patriarcat. Elle est peut-être la première à avoir poussé les femmes à être architecte de leur propre désir, loin des conventions de la haute société... Et c'est ce qui en fait une œuvre cruellement moderne.

Si le Pride and Prejudice de 2005 est culte, ce n'est pas pour rien. Pour beaucoup, c'est la quintessence même du romantisme à l'état pur (doublé d'un excellent film). Idem pour la série de 1995 avec Colin Firth (qui joue aussi Darcy dans Bridget Jones d'ailleurs), elle a marqué toute une génération parce qu'elle propose sa vision du slow love et c'est peut-être ça la leçon la plus précieuse : prendre le temps de mûrir ses sentiments - un luxe dans un monde où tout va toujours trop vite.

Malheureusement, à défaut de trouver M.Darcy, on continuera à regarder le film en boucle, en attendant de trouver quelqu'un qui fera l'affaire. (Pas) merci Jane d'avoir ruiné toutes nos relations à venir, avec ton écriture si parfaite du masculin.

Hasard de la vie, le 22 janvier 2025 sort un film "Jane Austen a gâché ma vie"... Comme quoi, je ne suis pas la seule à en vouloir à cette brave Jane.