Et si, finalement, il n’y avait rien de plus sexiste que les tendances TikTok ?
Strawberry Make-up, Vanilla Girl, Blueberry Milk Nails Girl... Si toutes ces tendances ont eu leur heure de gloire sur les réseaux sociaux, elles cacheraient néanmoins un problème de taille : elles s'évertueraient à réduire les femmes à de simples clichés. Explications.
Écrit par Juliette Gour le
Quel est le secret d'une bonne tendance beauté sur les réseaux sociaux ? Commencez par un visuel accrocheur, choisissez ensuite une (très) jolie nana et finissez en trouvant un nom qui rappelle la gourmandise. Si l'on s'est déjà tous demandé comment on trouvait un nom de tendance make-up, la réponse est assez simple : le mieux, c'est de miser sur quelque chose d'un peu étrange, qui suscite la curiosité et qui associe la beauté à de la nourriture. C'est en tout cas ce qui se passe depuis plusieurs mois sur TikTok et Instagram depuis quelques mois : dès qu'il y a une nouvelle tendance qui émerge, elle a presque toujours un lien - de près ou de loin - avec la nourriture. Il suffit ensuite d'ajouter un "Girl" à la fin, et on obtient le nouveau portrait-robot de la femme [b]trendy du moment.
Et c'est justement ce "Girl" qui pose problème. Car sous couvert de légèreté, ces tendances qui visent à créer le personnage parfait de la femme moderne ne font rien de plus que mettre les femmes dans des cases : celles qui sont des "Girls" des réseaux sociaux et celles qui ne le sont pas. La tendance de "this girl of Instagram" est d'ailleurs la quintessence de cette fâcheuse habitude à vouloir classer les femmes en fonction de la catégorie à laquelle elles appartiennent : les filles "Instagramables" et les autres.
En réduisant les femmes à leur statut de "Strawberry girl" ou "Vanilla Girl", on ne fait finalement rien de plus que réduire les femmes à l'image qu'elles renvoient sur les réseaux sociaux et on invisibilise complètement leurs complexités. Ces tendances ne font finalement que souligner le fait qu'une femme n'est rien de plus qu'une sorte de tendance et qu'elle est réduite à faire des choses "de filles", sinon elle n'a aucune valeur digitale. Au-delà même de l'aspect réducteur de ces tendances, elles ne font qu'accentuer les clichés qui entourent la féminité et que l'on pensait disparus.
Une habitude liée au male gaze ? Peut-être bien
Dans un vaste article sur le sujet, la BBC questionne sur les tendances dites "féminines" et "masculines" sur les réseaux sociaux. Le "Lazy Girl Job" a fait grand bruit cet été - une tendance qui met en lumière ces filles qui en font le minimum tout en gagnant leur vie correctement - est-ce que c'est une tendance que l'on pourrait appliquer aux hommes ? Il est évident que non, parce que dans l'imaginaire collectif, les hommes travaillent dur pour arriver à une certaine idée de la réussite. Idem pour la tendance du "Girl Math" qui n'est ni plus ni moins qu'une façon de rappeler que les femmes sont avant tout matérialistes et vénales.
Lorsque l'on prend l'ensemble de ces tendances prêtées aux femmes, on se rend finalement compte qu'il y a un effet infantilisant qui surfe sur les stéréotypes sexistes. C'est une façon comme une autre de mettre des femmes dans des cases et de les pousser à s'identifier à ces filles qui sont trendy sur les réseaux sociaux. Et même si on ne veut pas s'identifier à ces femmes [b]"social media normées", on finit toujours par le faire, car c'est un biais qui est humain. Le besoin d'appartenance est une réalité et ces tendances ne font qu'augmenter ce besoin d'entrer dans une case, ça permet de créer un sentiment de solidarité - de sororité - en se disant que finalement, on n’est pas si différentes.
En poussant l'analyse plus loin, on peut se rendre compte que ces tendances sont aujourd'hui utilisées par les marques pour faire vendre. La terminologie [b]"girl" est devenue un outil marketing et les femmes sont plus que jamais des consommables : des Hot Girl Summer, qui font des Girls Dinner et qui s'appliquent à reproduire la tendance Vanilla Girl pour coller à une certaine idée de l'esthétique.
La solution pour ne pas tomber dans le piège ? Se poser les bonnes questions
S'il est évident que certains créateurs appuient sur le sarcasme de certaines tendances, il est parfois important de prendre un peu de recul sur la situation et de se poser certaines questions essentielles. Par exemple, sur la tendance du "Girl Math", demandez-vous avant de liker s'il n'y a rien de réducteur derrière ce nom. Si cela sous-entend qu'il y a une façon "féminine" de faire des mathématiques, quelle est la version masculine (si elle existe). S'il n'y a en effet rien de mal à faire des vidéos humoristiques sur des habitudes un peu étranges que l'on peut avoir, il est pertinent de se demander si la tendance est purement innocente ou si elle nourrit une certaine forme de gentrification. C'est la même chose pour le "Lazy Girl Job", pourquoi n'y aurait-il que les femmes qui auraient envie d'avoir un job de paresseux ?
S'il est évident que les tendances n'arrêteront jamais d’être créées et que les gens continueront toujours de surfer sur cette idée de séparations entre les habitudes masculines et féminines, l'éducation peut permettre aux gens de ne pas tomber dans le panneau. Il n'y a qu'en prévenant les utilisateurs sur le message caché qu'il peut y avoir derrière une simple vidée que l'on arrivera à créer des netizen plus éveillés et moins crédules.
Ainsi, pensez-y la prochaine fois que vous tombez sur une vidéo qui vous donne l'impression d'appartenir à une catégorie de femme : est-ce que c'est de l'humour, un effet barnum ou une volonté de réduire les femmes à une certaine idée que l'on se fait de la féminité...
Retrouvez plus de sujets de fond dans notre rubrique Société