Tout ce qu’on ne vous a jamais dit sur la césarienne

Longtemps banalisée, la césarienne reste un sujet entouré de tabous et de méconnaissance. Entre manque d’information, suivi insuffisant et solitude, il est temps de briser le silence autour de cette expérience marquante avec l'enquête by Woundedwomen.

Écrit par Erine Viallard le

Acte chirurgical courant, la césarienne reste pourtant entourée de silence et d’incompréhensions - malgré ses dangers et ses conséquences. Pour de nombreuses femmes, elle est bien plus qu’une intervention médicale : elle peut être synonyme de peur, de sentiment d’échec, voire de dépression post-partum - dont elle est l'une des principales causes. En France, où une naissance sur cinq se fait par césarienne, le sujet demeure étrangement tabou.

Audrey Bouyer, qui a elle aussi "subi" une césarienne, n’a pas vécu ce jour comme le "plus beau de sa vie". Pour elle, ce jour s’est transformé en cauchemar. Déterminée à briser le silence, elle s’est lancée dans une vaste enquête pour recueillir la parole des femmes césarisées.

L’initiative a réuni 6000 participantes, et parmi elles, 1078 témoignages exploitables ont été collectés, avec un âge moyen de 35 ans. Un écho puissant aux vécus multiples et souvent invisibilisés, de ces mères.

Une chirurgie sous-estimée

La césarienne pour rappel,est un type d'accouchement pratiqué dans les cas où le bébé ne peut pas sortir par voie vaginale. Rien que sa définition traduit de l'urgence - 76% des césariennes sont réalisées "en urgence". C'est également une intervention chirurgicale, un assez gros détail qui est banalisé. Et pourtant, le protocole postopératoire est généralement absent. Que font les femmes pour se soigner ?

Un problème d’autant plus alarmant que l'enquête révèle que 60 % des femmes déclarent avoir été mal informées sur les conséquences postopératoires, des informations pourtant essentielles à leur rétablissement. Pire encore, un tiers des mères n’ont pas été prévenues au moment de l’incision, un acte pourtant lourd de sens et symboliquement très intrusif, qui ajoute au sentiment de perte de contrôle durant l’intervention.

Ces carences dans la prise en charge laissent de nombreuses femmes dans un isolement physique et émotionnel.

Elle(s)

Les femmes de l'enquête ont des profils divers, mais un point commun ressort : ce "mal vécu" souvent lié à des circonstances précises. Parmi elles, certaines ont accouché prématurément, suivi un parcours de PMA, ou subi une césarienne à cause de complications telles qu’une prééclampsie ou une grossesse multiple.

Pour la moitié des répondantes, la césarienne a été répétée au cours de leur maternité, principalement en raison d’urgences médicales ou de complications récurrentes rendant impossible un accouchement par voie basse.

Un impact psychologique ignoré

L’accouchement par césarienne laisse des traces bien au-delà du physique. Pour 85 % des femmes interrogées, cette expérience est associée à un sentiment d’échec ou à un élément traumatique marquant. Parmi elles, 24 % évoquent un stress post-traumatique, 21 % une dépression post-partum, et 17 % décrivent un profond sentiment de solitude.

Comme en témoigne cette femme, l’expérience peut être bouleversante : "Ça m'a paru très long, j'étais épuisée et j'avais extrêmement peur. Je tremblais et pleurais beaucoup. Au départ, mon mari n'était pas avec moi et je me suis sentie abandonnée."

Cette situation est aggravée par l'absence d'accompagnement postopératoire : 61 % des femmes ne bénéficient pas de débriefing, un moment crucial pour comprendre les raisons de la césarienne ou les détails des complications et de leurs conséquences. De plus, 47 % des mères n’ont pas accès peau à peau avec leur bébé. Cette étape est pourtant cruciale, particulièrement après une césarienne, car elle représente souvent le moment tant attendu, où elles peuvent initier un lien immédiat avec leur enfant. Son absence est vécue comme une privation déchirante - qui peut laisser des traces dans la relation naissante entre la mère et son bébé.

Une césarienne psychologiquement dure comme le confie cette femme : "J'ai eu un stress post-traumatique par la suite et une dépression post-partum."

Bien que le diagnostic de dépression post-partum (DPP) soit posé dans certains cas, les suivis psychologiques nécessaires restent rares ou insuffisants. Un problème d'autant plus grand quand l'on sait qu'une femme sur deux est touchée par la DPP.

Cet impact ne se limite d’ailleurs pas qu'aux mères : 8 pères sur 10 affirment également avoir été affectés psychologiquement.

“J'ai tout senti, l'impression que j'allais mourir”

La césarienne n’est qu’une étape : l’intervention elle-même dure en moyenne 15 à 20 minutes. Mais le véritable défi commence après, en postopératoire. Neuf femmes sur dix se sentent mal à l’aise dès leur arrivée en chambre.
"À ma deuxième césarienne, j'ai eu une hémorragie et donc beaucoup de mal à m'en remettre", confie une jeune maman.

Autre difficulté majeure : la cicatrice. La suture des incisions utérines et abdominales, qui prendrait environ 45 minutes, est une étape bien plus longue que l’acte chirurgical. Cette cicatrice, tout sauf anodine, handicape profondément les femmes dans leur quotidien. Déjà privées des premiers instants avec leur bébé, certaines ne peuvent pas allaiter ou même porter leur enfant, la douleur et l’incapacité à se tourner les en empêchant."J’ai mis quinze jours à marcher droit et un mois avant de pouvoir m’allonger sans souffrir", témoigne une autre.

Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres : 65 % des femmes ayant accouché par césarienne souffrent de douleurs intenses, que ce soit sur le bloc ou après. Côté suivi, 51 % bénéficient d’un accompagnement par une sage-femme pendant douze jours, pris en charge par l’ Assurance Maladie, suivi de deux consultations jusqu’à la quatorzième semaine. Et 18 % accèdent au PRADO (Programme d'accompagnement du retour à domicile).

Mais ces efforts restent insuffisants : certaines femmes repartent chez elles sans protocole de suivi. Un véritable point faible dans le parcours de soin, d’autant que 60 % des patientes n’ont jamais été informées des complications potentielles liées à leur cicatrice. Et lorsqu’elles le sont, c’est généralement par une infirmière.

Vers une meilleure prise en charge des femmes après une césarienne

Après une césarienne, les attentes des femmes sont claires : un protocole postopératoire standardisé pour harmoniser les soins, et surtout, davantage d’informations avant et après l’intervention. Beaucoup expriment un besoin d’être mieux accompagnées pour comprendre les implications médicales, physiques, et émotionnelles de cet acte souvent imprévu.

Saviez-vous que 69 % des informations post-césarienne proviennent des sages-femmes ? Leur rôle est indispensable pour rassurer, expliquer, et guider les nouvelles mamans dans leur rétablissement.

Pour 33 % des femmes, la thérapie devient une étape clé, notamment pour 24 % d’entre elles qui considèrent leur accouchement comme un événement traumatique. Ces chiffres montrent à quel point l’accompagnement psychologique est crucial pour aider les mères à surmonter cette expérience.

Des initiatives pour mieux accompagner

Woundedwomen a fait le premier pas. Derrière ce nom, il y a une femme qui, après une césarienne d’urgence traumatisante, a décidé de transformer sa douleur en action.

Pour soutenir toutes les femmes ayant vécu cette expérience, elle a créé : de la lingerie spécialisée, qui protège les cicatrices tout en restant esthétique et confortable. Un podcast, où chaque épisode raconte l’histoire unique d’une femme césarisée. Et un livre blanc, qui compile une enquête approfondie sur le vécu des césariennes en France, abordant les impacts médicaux, sociaux, et économiques.

Et ce n’est pas tout : unparcours de soins digitaliséverra bientôt le jour via une application dédiée. Cette innovation vise à centraliser l’accompagnement des femmes, depuis leur opération jusqu’à leur rétablissement complet. Une initiative ambitieuse, mais essentielle, pour qu’aucune femme ne subisse la naissance de son enfant.

La césarienne, bien qu’essentielle dans de nombreux cas, mérite une prise en charge à la hauteur de son impact. Écoute, information et accompagnement sont autant de clés pour mieux répondre aux besoins des femmes.