Femmes et alcool, et si on parlait des dégâts pour une fois ?
Depuis quelque temps, le cocktail n'a plus la cote, on lui préfère le mocktail et ce n'est pas un hasard. Être sobre n'est pas qu'une tendance, c'est un mouvement sociétal qui prend de plus en plus d'ampleur.
Écrit par Juliette Gour le
Depuis quelques mois, on observe un changement dans les habitudes des jeunes trentenaires : les gens arrêtent de boire. Certains en font des vidéos - comme Maxime Musqua- pour inspirer ou motiver les troupes, mais surtout pour pointer du doigt la boisson. L'alcool serait-il devenu le grand méchant des soirées (pas que) parisiennes ? Difficile à croire que les Millennials, génération du "too much", boudent de plus en plus le vin et le reste.
Cette baisse ne date pourtant pas d'hier. Depuis à peu près 30 ans, on observe une décroissance légère d'année en année. Selon un rapport du gouvernement, il y aurait aujourd'hui 61% des adultes qui déclarent ne pas consommer de l'alcool toutes les semaines (ils étaient 37% en 2000).
Il n'est donc pas étonnant que les trentenaires croisent de plus en plus de leurs pairs qui arrêtent totalement la consommation d'alcool.
Mais, dans l’ensemble des études ou presque, les chercheurs semblent prendre la population comme un tout, sans séparer les hommes et les femmes. Effectivement, on aurait tendance à croire que les hommes boivent plus et sont plus touchés par l'alcoolisme... Pourtant, 81% des femmes boivent de l'alcool et cette statistique ne doit pas être noyée dans la masse.
Depuis les années 2000, on observe une certaine parité dans la consommation et c'est dû à plusieurs choses : la femme libérée qui, envieuse d'aller contre les conventions, s'est mise à boire dès qu'elle l'a pu - même si "une femme qui boit, c'est vulgaire" - mais aussi cause des stratégies marketing mises en place par les alcooliers pour séduire les consommatrices (particulièrement dans les années 70 avec les vagues féministes).
Pour Karine Gallopel-Morvan, Professeure des Universités à l’École des Hautes Études en Santé Publique, les dérives de la consommation d'alcool par le public féminin sont intrinsèquement liées à la communication qu'il y a autour des marques d'alcools "On constate que les comportements alcooliques des femmes en France rattrapent ceux des hommes, car les femmes sont devenues une cible marketing importante pour les industriels de l’alcool depuis quelques décennies". Pire, pour elle, il y aurait une mésinformation sur la consommation de l'alcool qui, selon certaines études, serait bénéfique pour la santé : "C’est totalement faux et démenti par les études les plus récentes qui montrent que la consommation d’alcool est risquée dès le 1er verre."
Nous serions donc dans une société qui nous pousse à boire de l'alcool et qui, en plus, nous déculpabiliserait de ça. Pourtant, il ne faut pas oublier que l'alcool tue, beaucoup. Après le tabac, c'est le produit le plus meurtrier en France et 7% des décès concernent les moins de 15 ans (L'alcoolisme au féminin - Pr Laurent Karila).
C'est donc un mal global qui touche l'ensemble du pays, mais qui semble être encore plus pervers lorsque l'on l'aborde sur le prisme féminin, car les femmes s'en cachent. Une femme qui boit, c'est une dépravée, une mauvaise mère ou une femme peu respectable. Elles sont pourtant 1 femme sur 10 à consommer de l'alcool tous les jours. C'est donc un mal invisible, multifactoriel, qui peut toucher tout le monde, même la plus proche de vos amis.
"Lorsque l’on ne boit pas d’alcool en France, c'est que l'on a un problème"
On imagine souvent que la femme alcoolique est une femme de mauvaise vie, pourtant, ça peut toucher tout le monde : une mère au bout du rouleau, une jeune femme qui essaye de se remettre d'une agression, ou une journaliste qui a de l'alcool gratuitement et à volonté. C'est ce qui est arrivé à Laurie, 32 ans, qui s'est un jour rendu compte que sa relation avec l'alcool était tout sauf saine. Le constat est arrivé sans prévenir, au lendemain d'un déjeuner trop arosé.
"On a descendu trois bouteilles de vin blanc à deux. Le soir, je n’avais toujours pas décuvé, ça a mis des heures et mes souvenirs ne sont jamais totalement revenus. En me couchant ce soir-là, je me suis dit que ce n’était pas normal tout ça."
Rien de très étranges dans cette situation, on s'est toutes un jour retrouvé la tête dans les toilettes, à se demander ce qui avait bien pu se passer la veille. Mais pour Laurie, c'était la fois de trop, l'électrochoc qu'il lui a fallu pour arrêter de boire. Pourtant, elle n'était pas une buveause du quotidien, elle buvait ponctuellement, en soirée, mais entretenait un lien malsain avec l'alcool.
Du jour au lendemain, elle a dit adieu à la boisson et s'est sevrée toute seule, comme une grande. Est-ce qu'elle s'imaginait alcoolique un jour ? Évidemment que non, car c'est un mal qui ne crie jamais gare : "Il est de notoriété publique que les enfants d’alcoolique ont plus de chance que les autres de développer une dépendance à l’alcool. Je croyais qu’avec un passif pareil, je naviguais avertie."
En plus de l'impact sociétal, l'amour de la boisson peut aussi passer par les gènes et ça, peu de monde le sait.
Outre le sevrage - qui pour Laurie, s'est passé sans aide médicamenteuse - le plus dur, c'est peut-être le regard de l'autre, parce qu'il est de tradition en France, de boire un petit coup à la maison dès qu'il y a quelque chose à fêter. Ce n'est pas pour rien que l'on est est l'un des pays où l'on consomme le plus d'alcool au monde. Soiffards et (étrangement) fiers de l'être.
Pour ce qui est de Laurie, les retours quant à l'arrêt de l'alcool ont été mitigés, sûrement parce que son acte (courageux) a titillé les insécurités de son entourage.
"Il y a eu trois catégories de personnes à l’annonce de ma récente sobriété : ceux qui n’en avaient rien à faire, ceux qui n'ont posé aucune question et ceux qui ont été d’un soutien incommensurable en me suivant sur la consommation de boissons sans alcool, en discutant avec moi, parfois même en justifiant mes choix à ma place. C’est cette catégorie-là qui est restée la plus proche de mon cœur."
Un parcours loin d'être une promenade de santé, mais qui a évidemment eu un effet positif sur sa vie : meilleure forme physique, sommeil de meilleure qualité, une santé mentale plus stable... La liste est sans fin. De cette épreuve, elle en a fait une force, qu'elle a décrite dans une newsletter inspirante (et inspirée) pour parler de cette grande décision qui a tout changé.
Doit-on avoir peur du grand méchant verre de vin ?
En parcourant les études et les écrits de nombreux experts, on se rend rapidement compte qu'il y a plein de fausses croyances autour de l'alcoolisme. Selon Santé Publique France, on ne devrait théoriquement jamais dépasser plus de 10 unités d'alcool par semaine. Mais, l'alcoolisme n'est pas tant dans la régularité de la consommation, mais plus dans la relation que l'on entretient avec lui.
Pour Juliette Hazart, Médecin addictologue, l'alcoolisme se définirait surtout par des "craving" de boisson qui, petit à petit, commencent à rythmer la vie du consommateur. "Une personne ayant une addiction à l’alcool ne peut plus se passer de consommer, sous peine de souffrances physiques ou psychiques. Sa vie quotidienne tourne largement autour de la recherche et de la prise du produit." Ça, c'est une vision de l'alcoolisme, mais on peut l'être sans boire tous les jours. Le phénomène de binge drinking par exemple, illustre parfaitement l'alcoolisme insidieux : on ne boit pas tous les jours, mais quand on consomme, c'est à outrance.
Le résultat est le même pour les hommes et pour les femmes, mais il y aurait des facteurs plus spécifiques qui pousseraient les femmes à boire de l'alcool : la charge mentale, le harcèlement sexuel, les violences sexuelles, les grossesses non désirées...
"L'alcool, en particulier, est fréquemment utilisé par les femmes comme un 'remède' contre la solitude, l'oubli et la tristesse. Contrairement aux hommes, qui consomment davantage dans un contexte festif, les femmes sont plus enclines à boire dans des situations psychoaffectives difficiles." Une différence rarement évoquée entre la consommation masculine et féminine.
Il y a quelques mois, le phénomène des "wine mum" a fait fureur sur les réseaux sociaux - comprenez les mères qui, après une dure journée, s'ouvrent une bouteille de blanc pour décompresser. Non contente de glamouriser la consommation de l'alcool, elle représente plusieurs dangers potentiels : "Cette tendance banalise et normalise l'idée que boire de l'alcool est nécessaire pour gérer le stress parental, faire face à la fatigue ou au surmenage parental, ce qui peut encourager une consommation problématique(...) Il est crucial de sensibiliser le public, y compris dans le cadre professionnel, aux dangers de cette banalisation de l'alcool comme stratégie de coping."
L'idée n'est évidemment pas de diaboliser la consommation en général, mais plus la relation toxique que l'on peut entretenir avec la boisson. Pour savoir si l'on entretien une relation toxique avec l'alcool, il existe un test très simple, le questionnaire AUDIT-C, qui permet de rapidement identifier l'éventuelle dépendance que l'on entretien avec les boissons festives. Mais attention, ce n'est que la première étape, le sevrage reste long et périlleux, surtout si l'on a utilisé l'alcool comme une autothérapie pendant des années.
Heureusement, les choses changent
On sait maintenant que l'alcool, c'est pas cool (n'en déplaise à Kad) et de plus en plus de marques mettent à disposition des boissons festives sans alcool. On pense par exemple à French Bloom et au au domaine d'Estoublon qui font des champagnes alcool free, le Chateau La Coste qui fait du rosé sans alcool ou à JNPR qui fait des spiritueux non alcoolisés, pour faire des mocktails de haute voltige.
Une fois n'est pas coutume, le marché s'adapte aux consommateurs et c'est un petit mal pour un grand bien. C'est signe que les mentalités changent.
Chez les consommateurs aussi, on voit une différence. Il y a de plus en plus de "flexidrinkers", des buveurs occasionnels ou des "sober curious" qui limitent leur consommation d'alcool autant que possible, mais qui s'autorisent une carte joker de temps en temps.
Il existe même des sociétés de personnes sobre. De l'autre côté de la Manche, Millie Goosh a créé la "Sober Girl Society", soit un club de femmes sobre et cools, qui prouvent au monde entier que l'on peut être cool et fun sans boire de l'alcool.
Peut-être que le moment est venu de comprendre que l'alcool (qu'il soit "sang du Christ" ou "boisson magique" qui permet toutes les folies), n'est pas nécessaire pour se donner de la contenance.
Qui sait, peut-être que dans 10 ans, ce sera un truc de vieux de boire une bière après le boulot et qu'on préfèrera siroter un kombucha non pasteurisé.