La Servante Écarlate : est-ce que la réalité pourrait bientôt dépasser la (fausse) fiction ?

Alors que la Cour suprême américaine vient de révoquer l'arrêt qui permettait aux femmes d'avoir accès à l'avortement, le monde entier tremble face à cette décision historique qui nous plonge 60 ans en arrière. Les similitudes avec le roman de Margaret Artwood, 'La Servante Écarlate’, se font de plus en plus sentir...

Écrit par Juliette Gour le

Sommes-nous en train de vivre une dystopie ? Alors que le monde se relève (difficilement) d'une pandémie mondiale, la folie ne semble pas avoir quitté les esprits de certains. Depuis vendredi 24 juin 2022, l'arrêt qui permettait de garantir aux femmes américaines d'avoir accès à l'avortement a été supprimé. Depuis ce jour, les États américains sont libres d'autoriser (ou non) l'accès à l'avortement. Déjà neuf États ont interdit l'accès à l'avortement pour les femmes, le prix des pilules du lendemain a explosé et le Vatican a félicité la Cour suprême d'avoir révoqué ce droit (qui devrait être considéré comme fondamental).

Cette politique conservatrice à l'extrême (qui prévoit également d'interdire le mariage pour tous.tes) est une réminiscence directe du gouvernement de Trump : c'est lui qui a fait le choix de mettre des juges conservateurs à la Cour suprême et ce sont ces mêmes juges qui s'amusent aujourd'hui à modifier les lois et à interdire de plus en plus de droits acquis depuis des années aux pays de l'Oncle Sam.

Au-delà même de l'horreur de cette réalité (personne ne pensait que le "pays des libertés" ferait un tel bond en arrière), un nom est sur toutes les lèvres : Margaret Artwood, autrice de la célèbre (et terrifiante) saga dystopique "La Servante Écarlate". Ses livres ont été adaptés en séries et, à quelques semaines de la diffusion de la dernière saison les esprits s'affolent : les Américaines sont-elles en train de vivre cette dystopie ? Il semblerait que la politique de leur pays prenne ce chemin.

Pour résumer l'histoire, La Servante Écarlate parle d'une Amérique profondément transformée, tombée sous la dictature religieuse. Dans cette société, les femmes et les hommes sont divisés en castes et les femmes qui auraient fauté dans leur vie d'avant (un avortement est considéré comme une faute) deviennent des Servantes, des femmes violées par des hommes de pouvoir pour faire des enfants. Les épisodes (et les chapitres) sont à glacer le sang, non pas parce que c'est affreux (encore que), mais parce qu'on se dit que cela pourrait nous arriver. Le plus effrayant dans cette œuvre, c'est que l'autrice n'a fait que s'inspirer de choses réelles que les femmes ont subies dans l'histoire de l'humanité. Parce que bien souvent, l'horreur des hommes est capable de dépasser la fiction.

Et, quoi que l'on puisse en dire, il se pourrait bien que le pays de l'Oncle Sam (et d'autres) prenne une direction similaire à l'œuvre de Margaret Artwood...

Les Éclaireuses

Des pays qui tendent vers une politique conservatrice... Comme à Gilead

La première chose qui saute aux yeux lorsque l'on visionne un épisode de La Servante Écarlate, c'est de voir à quel point les femmes sont relayées au second plan de la société. Elles n'ont pas le droit de lire ni d'écrire, elles n'ont aucun pouvoir décisionnaire et elles sont classées en fonction de leur "valeur" : les plus modestes sont dédiées au travail, les plus vertueuses deviennent des épouses, les autres sont divisés entre des servantes (si elles peuvent avoir des enfants) et les Jézabel (les prostituées sans statut ni situation).

Dans cette dystopie, c'est un monde d'homme qui dirige et qui fait les lois en fonction de leur prisme et de leurs croyances. Évidemment, la religion a une place très importante dans la société... Tout comme aux États-Unis, un pays où on jure encore sur la Bible pour prêter serment. Difficile de ne pas comparer l'histoire du livre avec ce que nous sommes en train de vivre aujourd'hui. Tout comme dans le livre, le gouvernement américain (et d'autres pays) révoquent des lois qui privent les femmes de liberté : l'interdiction de l'avortement, l'interdiction de se vêtir comme elles le veulent, l'interdiction d'accès à l'éducation (à quand l'interdiction du droit de vote ?).

Les États-Unis viennent de révoquer l'accès au droit à l'avortement, mais d'autres pays l'ont fait aussi ou ne l'ont même jamais autorisé. À Malte, une femme risque la prison si elle avorte. En Andorre, l'IVG est interdite. En Pologne, elle est très contrôlée, idem pour la Hongrie. Pour ce qui est des violences conjugales, elles ne sont plus pénalisées en Russie et en Turquie. En ce qui concerne les homosexuels (les autres grands "méchants" pour la société religieuse décrite dans La Servante Écarlate), il est tout simplement interdit de l'évoquer en Russie ou en Floride et la Cour suprême se dit prête à révoquer l'autorisation du mariage pour tous.tes.

Toutes ces lois, plus rigoristes et liberticides les unes que les autres, font certes perdre l'esprit, mais sont la preuve que le vent peut tourner à tout moment. Comme le disait très justement Simone de Beauvoir dans son livre "Le deuxième Sexe" :

"N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant."

Cette crise que nous avons traversée était certes sanitaire, mais il semblerait bien qu'elle ait donné des idées à tous ceux (parce qu'il est rarement question de femmes décisionnaires dans ces lois) qui rêvaient en cachette de priver "les faibles", qui sortent du cadre cloisonné du patriarcat primaire, de libertés encore considérées il y a quelques années comme fondamentales.

Une dystopie sur fond de crise écologique

L'autre similitude frappante avec l'œuvre de Margaret Artwood, c'est la situation écologique qui sert de toile de fond à l'installation de la dictature religieuse : le régime de Gilead s'est formé à un moment où le monde était en crise écologique et où les modifications du climat et les modes de vie ont drastiquement fait chuter le taux de fécondité des femmes.

Si pour le moment l'OMS n'a pas tiré la sonnette d'alarme en ce qui concerne la fertilité humaine, le GIEC a assez alerté sur l'impact de l'activité humaine sur le climat. Outre le réchauffement climatique, il ne faut pas minimiser l'impact que pourraient avoir les variations extrêmes de température sur l'humanité : les canicules représentent un danger pour les plus fragiles, mais les hautes températures pourraient aussi, en faisant fondre les glaces éternelles et le permafrost, libérer des virus encore inconnus de l'homme (et ça, c'est effrayant). 

Une crise est une crise, qu'elle soit politique, économique, religieuse ou écologique. L'humanité (surtout les minorités) en restera toujours la première victime, c'est pour cette raison qu'il est essentiel que la conscience collective s'active pour éviter le pire. 

Un livre ignifugé pour éviter les autodafés

Comme si on avait senti le vent tourné, il y a quelques semaines, une version ignifugée du livre de Margaret Artwood a été vendue aux enchères pour lutter contre la censure. En 2021, de nombreux élus conservateurs américains avaient appelé à la censure et à l'autodafé (un terme que l'on n’avait pas entendu depuis nos cours d'histoire sur la montée du nazisme). Ce sont près de 800 livres qui ont été visés par cette censure orchestrée. La plupart traitaient de thèmes liés au racisme, comme le mouvement Black Lives Matters, ou aux différentes sexualités comme l'homosexualité.

Cette désintellectualisation des masses cumulée à l'aliénation de la religion et la peur qu'entretiennent certains médias conservateurs et religieux sont en train de profondément modifier la face des États-Unis. Ils sont passés de pays leader, en accord avec son temps, à un pays qui s'enferme de plus en plus dans une rigueur religieuse et qui fait, chaque jour un peu plus, un pas en arrière dans son évolution.

S'il est normal d'être effrayé par ce qu'il se passe de l'autre côté de l'Atlantique, il est aussi essentiel que le pays serve de (mauvais) exemple : il suffit d'un rien pour basculer du mauvais côté de la barrière et priver 50% de l'humanité de droits fondamentaux, dont celui d'être maître de son corps.

En espérant que cet exemple ne reste qu'Américain, nous attendrons avec impatience la prochaine saison de la Servante Écarlate (prévue pour l'automne 2022 sur OCS) et peut-être nous relirons l'œuvre complète de Margaret Artwood pour garder les idées claires et lucides.

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