Philippine Leroy-Beaulieu raconte le cinéma français avant MeToo
Philippine Leroy-Beaulieu, sensation forte du cinéma français, témoigne de la perversion et de l'hypersexualisation qui régnaient dans l’industrie avant #MeToo et ce n’est pas tout. Parcours de résilience qui l'amène à une renaissance artistique à 60 ans, rejet du 7ème art à son égard… L’actrice affirmée aborde avec philosophie la puissance qu'apporte la maturité. Prenez note.
Écrit par Téa Antonietti le
61 ans, un âge qui lui va comme un gant. Charismatique, glamour, authentique, sexy… Ces adjectifs choisis pour décrire Philippine Leroy-Beaulieu habilleraient tout aussi bien le portrait d’une actrice prometteuse dans sa vingtaine. Pourtant, comme bon nombre de femmes mythiques du cinéma, passé la cinquantaine, l’industrie en quête permanente (et discriminante) de fraîcheur préfère radicalement les jeunes talents aux femmes mûres accomplies.
Au premier plan de l’ascension fulgurante du phénomène Emily in Paris, Philippine Leroy-Beaulieu jouit d’une aura mondiale, dans la peau de la divine Sylvie Grateau. Il y a bien longtemps que l’actrice a dit non au cinéma indépendant français, à son snobisme et à sa vision de la femme dégradante. Bien installée dans la Netflix factory qui a su justement la sublimer, Philippine Leroy-Beaulieu absorbe l’écran, revendiquant avec chic et audace la grâce d’une sexagénaire, puissante et inspirante. Dans le cadre d’une interview donnée à Paris Match, l’actrice française fait des confidences sur sa relation ambiguë avec le cinéma français, de l’avant #MeToo à son âgisme encore trop courant. Son témoignage est passionnant.
La perversion du cinéma français avant #MeToo
Les premiers rayons scintillants du cinéma français et ses projecteurs se posent sur Philippine Leroy-Beaulieu en 1985. Révélée au grand public dans la comédie culte Trois hommes et un couffin, l’actrice a connu bien des travers de l’industrie des décennies avant l’émergence du mouvement #MeToo. En 1983, sa rencontre avec la caméra a lieu sur le tournage de Surprise Party par Roger Vadim. Là où elle incarne une lycéenne prête à fêter l’obtention de son baccalauréat, Philippine Leroy-Beaulieu se sent tout de suite réduite à un objet, utilisée comme “une poupée Barbie”.
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Figurante malgré elle d’un cinéma où la place des femmes est avant tout physique, l’actrice se souvient des castings absurdes aux requêtes inappropriées, caractéristique de la vision perverse de la féminité du 7ème art.
Elle raconte dans les colonnes de Paris Match : “Il y avait toujours une scène à poil, une scène de cul. Combien de castings lunaires où on nous demandait de montrer nos seins ! Pour ne citer que Jean-Claude Brisseau [réalisateur jugé et condamné pour agression sexuelle], il me cavalait après avec des scénarios plus crados les uns que les autres. Dans ces années-là, on ne voyait en nous que de la chair fraîche.” Un phénomène dont elle a toujours su se tenir à l’écart, refusant bon nombre de scénarios dégradants et des portraits sulfureux, notamment pour le magazine de charme Lui.
La renaissance de Philippine Leroy-Beaulieu à 61 ans
Si son image de femme libre affranchie des exigences perverses de l’industrie l’estompe peu à peu du paysage cinématographique français, Philippine Leroy-Beaulieu est (enfin) perçue par des réalisateurs sensés. 2015 marque un tournant décisif pour l’actrice alors invitée par Cédric Klapisch à jouer dans Dix pour cent. Un rôle de caractère qui attire l’attention de Darren Star, showrunner prolifique à qui l’on doit 90 210, Sex and the City et plus récemment, Emily in Paris.
Lorsque Philippine Leroy-Beaulieu passe le casting pour incarner le personnage de Sylvie Grateau, il est initialement prévu pour une femme plus jeune. Convaincu que l’actrice capte justement l’essence de cette femme de tête, Darren Star réécrit entièrement le rôle pour elle, en fonction de son âge et de son expérience. 4 saisons plus tard, Sylvie Grateau est LA Parisienne snob flamboyante, dotée d’une chic authenticité que tout Hollywood ne cesse d’envier. À 61 ans, Philippine Leroy-Beaulieu signe un retour de grâce divinement effortless.
La puissance d’une femme mûre
Plus que jamais, Philippine Leroy-Beaulieu s’affirme comme une femme mûre, en parfaite osmose avec son âge. Elle revendique cette réalité sans complexe, au cœur d’une industrie qui peine encore à faire exister les femmes à leur juste valeur lorsqu’elles passent le cap de la cinquantaine. Un phénomène qui n'affecte pas les hommes de l’industrie, bien évidemment.
L’actrice revient sur cette obsession malsaine des femmes du cinéma réduites à leur apparence, un âgisme qui existe depuis des décennies : “Ce débat autour de l'âge des actrices découle de l'hypersexualisation des femmes dans les années 1970-1980-1990. C'est beau, une jeune femme à l'écran, mais il y a d'autres choses à raconter, comme la puissance d'une femme mûre”.
Aujourd'hui, Philippine Leroy-Beaulieu se réjouit que le public, - y compris les jeunes femmes - adhère totalement à son personnage de Sylvie Grateau dans Emily in Paris. Selon elle, la force et la liberté d’une femme de son âge sont devenues des sources d’inspiration pour les jeunes générations. Comme elle le raconte dans Paris Match : “Ce que je crois comprendre, c'est que la détente et l'irrévérence d'une femme de mon âge sont très inspirantes pour les plus jeunes.”
Un rejet du cinéma français ?
Philippine Leroy-Beaulieu scintille désormais d’une reconnaissance internationale grâce à Emily in Paris. Bon nombre de propositions affluent de l’étranger, mais la France, elle, semble toujours lui “faire la gueule”. Elle justifie ce désintérêt par une forme de snobisme typique français - qu’elle incarne d’ailleurs parfaitement dans la peau de Sylvie Grateau -, qui ne soutient pas son choix d’une série populaire américaine. “Ils ne comprennent pas ce que je suis allée faire dans cette série, comme si je m'étais vendue aux Américains !”. Une réalité que l’actrice accepte avec sagesse, parfaitement consciente de l’expérience enrichissante que lui offre ce rôle flamboyant au cœur de la série Netflix. “Je suis sûre que quand on regardera "Emily in Paris" dans quelques années, on verra des choses en creux que la plupart n'ont pas remarquées aujourd'hui.”.
Philippine Leroy-Beaulieu clôt l’entretien avec une philosophie qui témoigne d’une carrière accomplie : “La perfection n'existe pas. On se trompe? Oui. On réussit des trucs? Oui. Ça s'appelle l'expérience.” Au sommet de sa carrière, Philippine Leroy-Beaulieu est le parfait exemple du potentiel de ces actrices au-delà de leur jeunesse.
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