Pourquoi est-ce qu’on a fini par normaliser les ‘mecs toxiques’
Sommes-nous formatées à être attirées par les hommes toxiques ? C'est une question légitime que l'on est en droit de se poser en jetant un œil sur les icônes masculines des séries de notre adolescence qui, aujourd'hui, paraissent bien désuètes.
Écrit par Juliette Gour le
Fantasmer sur Chuck Bass, rêver de se faire visiter la nuit pas Edward Cullen ou espérer tomber sur un riche et bel homme avec des goûts "un peu particuliers"... Et si la pop culture de notre adolescence avait eu plus d'impact sur nos choix de vie qu'on ne le pense ?
Sur la question de l'homme toxique, tout le monde semble avoir un avis. Toutes les femmes sont tombées, un jour ou l'autre, sur un homme aux penchants pervers et aux travers aussi variés qu'originaux. Cependant, un petit tour d'horizon de notre watchlist Netflix nous prouve bien qu'on a beau les détester, ils n'en restent pas moins des héros/antihéros de nos séries favorites.
Mais du coup, avons-nous fini par normaliser l'homme toxique ? Et si oui, qu'est-ce qui a bien pu nous pousser à croire qu'il n'y avait que les hommes aux penchants toxiques qui avaient l'image de l'homme idéal ?
Faut-il incriminer la pop culture de mettre en scène des hommes cruellement sexy mais radicalement névrosés ?
Peut-on établir une corrélation évidente entre la construction de nos idéaux masculins et l'influence notable que la culture populaire a pu avoir sur les adolescentes du monde entier ? Si certaines séries sont érigées en exemple comme Buffy contre les vampires (qui est même le sujet d'un cours universitaire aux USA) ou Sex and the city pour le progressisme du scénario et des sujets évoqués ou abordés dans les épisodes, elles cachent aussi une part sombre qui glamourise le bad boy torturé qui fait souffrir à longueur de journée les personnages féminins. Mister Big, grand amour de Carrie, n'en reste pas moins un homme manipulateur et nocif pour notre auteure favorite et Spike dans Buffy contre les vampires, bien que sadique et vicieux, fini par séduire la douce et délicate Buffy, faisant ressortir au passage, les pires travers de l'héroïne.
Il ne faut pas croire que cette mode du bad boy toxique est révolue. S'ils étaient légion dans les séries des années 90, ils l'étaient aussi en 2000. Que ce soit Lucas dans Les Frères Scott, Chuck Bass dans Gossip Girl ou même Joe Golberg dans You, ils sont tous des personnages masculins qui, avec du recul, ne devraient jamais entrer dans la vie d'une femme. Certes, on peut considérer que les traits des personnages sont exagérés et poussés à l'extrême pour apporter une touche dramatique au scénario. Mais les jeunes adolescents qui regardent ce genre de fictions peuvent finir par se construire une image erronée et idéalisée d'un homme violent, manipulateur et toxique.
Un tour sur la plateforme WattPad (une plateforme qui permet à qui le veut de publier des histoires) permet de se rendre compte de toute l'étendue de l'idéalisation de l'homme violent. Le plus inquiétant derrière ces histoires, c'est qu'elles sont souvent écrites par des adolescent(e)s qui n'ont pas l'air de prendre conscience de tout le message qui se cache derrière leurs écrits.
Les histoires mettent en scène des stars (comme Harry Styles ou les BTS) ou des personnages iconiques de sagas (comme Harry Potter), ayant une vie sexuelle violente, à base de schémas de domination ou de privation. On sent, à la lecture, que la culture du viol est toujours aussi présente et normalisée.
Cependant, on peut comprendre qu'il y ait une reproduction de certains schémas lorsque toute l'éducation sentimentale s'est faite par le biais de séries ou de livres qui poussent à croire que l'homme idéal est forcément un homme manipulateur et qui a la mainmise sur sa compagne. Twilight, lecture classique de la littérature jeunesse, n'échappe pas à cette idée. Sous couvert d'un puritanisme évident et d'une absence totale de contact physique (ou presque), le vampire a une mainmise totale sur Bella (finalement, on ne sait même plus si elle est amoureuse ou si elle est sous l'emprise d'un pseudosyndrome de Stockholm).
On peut tout de même se demander si, dans quelques années, ces séries ne deviendront pas problématiques, comme pour les films Disney, régulièrement pointés du doigt. Peut-être que dans 20 ans, il sera totalement déplacé de regarder Gossip Girl ou Friends (oui, Friends aussi peut poser problème, pour le sexisme évident de Joey et pour le côté manipulateur passif de Ross).
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Mais, est-ce que le problème ne vient que des séries ? Il n'y a pas de fumée sans feu et, même si le bad boy a toujours eu la côte, il n'en reste pas moins le reflet d'une certaine idée de la masculinité, encore très présente dans nos sociétés. L'homme fort, un poil macho, qui a la mainmise sur sa compagne et qui doit tout faire pour protéger la vertu de sa femme, ce n'est pas un modèle absurde ou sorti tout droit de la tête des scénaristes américains. Bien au contraire, il est encore bien présent et, même si des Amazones modernes sont bien décidées à faire changer les mentalités, des schémas normés continuent à être transmis, comme la culture du viol ou de la perpétuelle dualité entre la mère et la putain.
Le pire dans tout ça, c'est que les hommes ne sont même pas coupables de cette éducation, du moins pas directement. Ils ne font que reproduire des normes institutionnalisées, transmises par leurs pairs, leurs parents, la société et la pop culture. C'est bête, mais un garçon, en se rendant compte qu'un Chuck Bass représente l'idéal des filles qu'il côtoie, aura envie de lui ressembler, pour coller à cet idéal fantasmé.
Cependant, cette idée d'une certaine masculinité est remise en question, notamment grâce aux voix qui s'élèvent contre la toxicité de certains schémas mais aussi grâce aux différents mouvements féministes (plus ou moins modérés) qui mettent à mal l'idée ancestrale de la masculinité. Car, si les femmes ont une pression évidente de la société, les hommes aussi. Plus d'un a dû être poussé, par leurs pairs ou la pression sociale, à faire des choses regrettables ou qui n'entraient pas dans leur idée de "l'homme". Le podcast Les Couilles sur la Table traite de cette idée de la masculinité normée, un poil toxique, qui gangrène nos esprits. Au fil des épisodes, Victoire Tuaillon et ses invités reviennent sur des stéréotypes masculins et déconstruisent, doucement mais sûrement, les idées reçues. Le but de toute cette démarche ? Tordre le cou aux habitudes et tendre vers un monde moins culpabilisateur et où (utopiquement) la manipulation n'aura plus sa place.
L'anti-mec toxique, a.k.a le Soft Boy, est-il en train de devenir le nouveau mec idéal ?
Heureusement, la tendance tend à s'inverser ces dernières années, toujours grâce à la pop culture et aux réseaux sociaux comme Tiktok, qui donnent de plus en plus de visibilité aux nouvelles formes de masculinité. Le nouveau rêve de belle-mère s'appelle le "soft boy", un anglicisme qui définit un homme doux, délicat et même, un poil féminin, selon nos standards actuels. Si cette nouvelle masculinité est fustigée par certains hommes, bien décidés à conserver par monts et par vaux l'image de l'homme dominant et puissant, cela ne lui empêche pas de gagner du terrain. Il n'y a qu'à voir le succès de la série Sex Education, le jeune Ottis n'a rien du quarterback macho qui faisait fondre les filles dans les séries type Euphoria ou Comme Cendrillon avec Hilary Duff.
Les nouvelles coqueluches des adolescent(e)s s'appellent Timothée Chalamet, Harry Styles, les BTS ou encore Cole Sprouse. Des hommes qui jouent avec les frontières des genres, qui se permettent toutes les folies vestimentaires, qui n'ont pas (plus) peur du regard des autres hommes et qui assument, haut et fort, être de gentils garçons. Ça change des bad boys institutionnels ou des rappeurs aux lignes violentes et misogynes. L'avènement de ces nouvelles têtes d'affiche prouve bel et bien que les choses sont en train d'évoluer, dans le bon sens. Que la toxicité pourrait, dans un futur proche, n'être réservée qu'aux sociopathes type Joe Golberg.
Bien sûr, on continuera de se délecter des séries de notre adolescence, mais on les regardera avec un nouvel œil et sans aucune nostalgie du temps d'avant, où tous les hommes de France et de Navarre étaient des Damon Salvatore wannabe ou de pâles copies de Christian Grey (la carte platinium en moins).