Et si le sextoy était l’objet le plus féministe qu’il soit ?

Qui aurait pensé qu’un jour, avoir des orgasmes seule était l'un des meilleurs actes de militantisme ?

Écrit par Juliette Gour le

Qui aurait pensé, un jour, qu'avoir des orgasmes seule était l'un des meilleurs actes de militantisme ? Après des années de puritanisme noyées sous d’épaisses couches de patriarcat, les femmes ont saisi leur plaisir fermement pour ne plus jamais le lâcher. 

Pourtant, c'est drôle d'imaginer que le symbole de la libération sexuelle est un vibromasseur. Mais ça a du sens parce qu'il en a fallu du temps pour vaincre les tabous autour de la masturbation féminine. Pire, il y a encore des gens qui pensent que les femmes ne voient pas le sexe comme une source de plaisir. On a longtemps pensé que la sexualité libérée était le plaisir de l'homme, mais depuis un peu moins de 100 ans, des amazones ont saisi le sujet à bras-le-corps et se sont donné pour mission de permettre aux femmes de jouir seules, sans l'aide de personne, si ce n'est d'un vibromasseur.

Avant ça, il a fallu effacer les centaines d'années de culpabilisation imposées par une Église qui avait une vision très précise des plaisirs de la chair : ils étaient réservés à la procréation. Personne (encore moins les femmes) ne pouvait avoir le privilège de prendre du plaisir pendant un acte si sale... Alors, prendre du plaisir seule, il ne fallait même pas y penser.

Heureusement, la révolution s'est faite petit à petit. À force d'astuces et de petites rébellions contre la société et les mœurs parfois étriquées, les femmes ont gagné le droit de jouir seules. Mieux, elles ont des orgasmes seules : plus de la moitié des Françaises avouaient même, en 2021, prendre plus de plaisir avec un sextoy qu'avec un partenaire. C’est bien la preuve qu'il y a un décalage cruel entre la vision du plaisir partagé et le plaisir solitaire. Si les femmes avouent prendre plus de plaisir seules, c'est qu'il y a une méconnaissance cruelle du corps des femmes et du mécanisme du plaisir féminin (sûrement induite par la pornographie phallocentrée). 

Les sextoys ont donné l'opportunité aux femmes de comprendre quel était le plaisir. Certaines, même, ont découvert ce qu'était l'orgasme grâce à un sextoy... C'est pour cette raison que l'on considère que les vibromasseurs et autres rabbits en tout genre ont eu un impact positif sur la libération des mœurs et l'apprentissage du plaisir.

Enjoy,

Les Éclaireuses

De dispositif médical à objet de plaisir

Si certaines légendes urbaines disent que c'est Cléopâtre qui aurait, la première, inventé le vibromasseur (à l'aide d'un tube rempli d'abeilles), c'est plutôt du côté de l'histoire médicale qu'il faut se tourner. 

À l'époque victorienne, la masturbation féminine était utilisée pour soigner l'hystérie (merci Freud). Selon les médecins de l'époque, un bon orgasme était la solution parfaite pour évacuer les tensions et les humeurs. Sauf que, ces traitements très localisés ont eu de plus en plus de succès et les praticiens ont fini par avoir les doigts fatigués à force de masturber, manuellement, toutes les femmes de la bonne société.

C'est pour cette raison qu'un masturbateur automatique à vapeur a été inventé, en 1869, pour soulager les pauvres médecins. Les femmes, elles, ont été les grandes gagnantes de l'histoire. Sous couvert de "traitement médical", elle pouvait se payer une bonne dose de plaisir sans rougir de honte. Pendant l'âge d'or de l'électricité, le masturbateur a été l'un des premiers outils à passer à l'électrique, en 1878. Cela a permis aux femmes de "traiter l'hystérie" seule, dans leur intérieur. C'est à partir de ce moment-là que le vibromasseur est entré dans les intérieurs pour ne plus jamais les quitter. Mais, rares étaient les femmes qui criaient sur tous les toits qu'elles étaient en possession d'un masseur électrique.

C'est là, tout le paradoxe de l'histoire, le vibromasseur était populaire et se cachait dans toutes les tables de nuit d'Europe (ou presque), mais on gardait timidement ce secret pour ne pas choquer et ne pas passer pour une "femme un peu trop débridée". Et ce secret a tenu jusque dans les années 90...

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Une série qui a changé l'histoire

S'il y a bien une série qui a marqué, plus profondément qu'on ne le pense, la société, c'est bien Sex And The City. Apparue à la télé dans le courant très ‘girl power’ de la fin des années 90, la série, signée Daren Star, a enfoncé bon nombre de portes fermées en commençant par celles liées à la sexualité féminine. 

Pour la première fois à la télé, on parlait librement de plaisir, d'orgasmes, de fellations et de vibromasseurs. Dès les premières saisons, la question des vibromasseurs est abordée. Et si les produits étaient généralement présentés comme des "masseurs pour le dos" (c'était aussi le cas dans les catalogues La Redoute), Samantha ne se prive pas de dire haut et fort à quoi servent réellement ces "magic wand".

Suite à la diffusion des épisodes liés au plaisir solitaire, une fièvre de désir va s'emparer du globe, faisant, au passage, exploser les ventes de rabbits dans le monde entier. Cette série a eu un effet déculpabilisant sur les femmes et leur a permis de prendre conscience qu'il était tout à fait possible d'être la maîtresse de son corps et de son désir. 

On pourrait penser qu'une série, c'est un peu léger. Mais Sex and The City a eu le mérite d'évoquer, frontalement, le sujet pour la première fois publiquement et ça a forcément eu un impact qui nous a amenées, en 2021, à l'explosion des ventes de sextoys un peu partout.

Plus tard, dans les années 2000, c'est 50 nuances de Grey qui a donné un nouveau coup de pouce au marché du sextoy. Dans les livres, le sextoy est proposé comme un accompagnateur de désir, un objet qui ajoute de l'intensité à l'acte, mais également un objet qui peut servir de divine punition. Anastasia, avec toute sa pureté virginale, va entrer dans le monde de la sexualité avec Christian, mais va aussi découvrir tout le panel de plaisir qu'offre une paire de boules de geisha ou un vibromasseur lorsqu'il est bien utilisé. 

Si les girls de Sex And The City avaient démocratisé l'utilisation du rabbit en solo, 50 nuances de Grey va offrir l'opportunité aux couples d'inviter les jouets dans le lit conjugal, ajoutant ainsi une nouvelle dimension au plaisir (surtout à celui des femmes).

Pourquoi prendre possession de sa sexualité est un acte cruellement féministe ?

Depuis les années 2010, de nombreuses marques de sextoys ont pris le virage du féminisme, présentant cet engagement comme un postulat majeur... Et ça fonctionne. De Lelo à Womanizer, on parle davantage du plaisir des femmes et ça fait du bien, surtout après des siècles d'invisibilisation. 

Cette mise en avant de l'engagement féministe des marques de jouets sexuels a permis un boom au niveau du marché. En 2018, Lynn Comella, chercheuse à l'Université de Duke, analysait l'impact de cet engagement sur l'ensemble du marché. En France, depuis le début des années 90, l'achat de sextoys a augmenté de 45%. En 1992, seules 7% des femmes avouaient (timidement) posséder un sextoy, en 2020, ce sont 52% des femmes qui assument posséder un jouet sexuel (soit un peu plus d'une femme sur 2). Il est indéniable, donc, que l'ensemble des discours positifs autour de l'utilisation des jouets sexuels ont eu un impact bénéfique sur le marché, mais également sur les mentalités.

Quant au féminisme ? Il transparaît à chaque prise de parole. La libération des discours autour du plaisir cumulée à l'idée de la possession de son corps s'articule directement autour de cette idée qu'une femme peut être libre de vivre son plaisir comme bon lui semble. 

D'ailleurs, les premiers sex-shops à destination des femmes qui ont été ouverts en Allemagne partaient de cette idée : permettre aux femmes de prendre possession de leur désir et de trouver, dans un endroit dédié, tout ce dont elles avaient besoin. 

Avec l'expansion du marché du jouet sexuel, cette tendance n'est pas près de s'arrêter. Le marché, en augmentation constante, a encore de beaux jours devant lui. 

God save the holly Rabbit.

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