La Chronique des Bridgerton : la sexualité positive selon Netflix
Un vent de Régence souffle sur les parties de jambes en l'air : le consentement, c'est sexy, parole de frère Bridgerton. On vous explique pourquoi la série numéro uno de Netflix nous aide à reconsidérer notre rapport à la sexualité.
Écrit par Juliette Gour le
Début juin 2024, le monde est en émois : la troisième saison - tant attendue - de La Chronique des Bridgerton est enfin disponible et met fin à un suspense insoutenable : comment va évoluer la relation entre Colin (Bridgerton) et Penelope (Featheringthon). Personnage pseudo-secondaire dans les deux premières saisons - n'oublions que c'est elle qui signe, en secret, la chronique mondaine qui passionne Mayfair - elle revient dans la troisième saison complètement transformée et emprunt d'une sensualité nouveau.
Outre la volonté de la présenter comme une femme en marge des convenances de l'époque - rares étaient celles en quête d'indépendance au XIXe siècle - le personnage de Pénélope rempli un rôle d'inclusion clair : celui de montrer que tous les corps sont beaux et qu'il n'y a pas qu'une seule forme de beauté. C'est vrai qu'elle détonne dans un casting où les jeunes femmes ont une silhouette filiforme, digne des couvertures de papier glacé. Mais c'est peut-être pour cette raison qu'on aime Pénélope (presque) plus que les autres, elle permet d'ancrer la série dans une certaine forme de réalité. Soucieuse de jouer la carte de l'inclusion, la série peut faire figure d'exemple dans le paysage culturel : la série laisse de la place à tout le monde et permet ainsi à chaque spectateur de se projeter dans cet univers.
Plus que de la simple représentation, la série nous sert également des messages positifs sur un plateau d'argent et c'est encore plus vrai dès qu'il est question de la sexualité des personnes. Si la scène de viol conjugal de la saison 1 avait fait grincer des dents de nombreux spectateurs, les show runners de chez Netflix ont ajusté le tir et Bridgerton est aujourd'hui une série qui rend la sexualité positive sexy, sans jugement ni préjugés.
Bridgerton, ou comment rendre consentement sexy
Si les scènes intimes sont devenues la norme depuis l'avènement de Game of Thrones, rares sont les séries qui arrivent à lier érotisme et consentement. Pourtant, dans cette troisième saison, Bridgerton y arrive avec brio. Il faut attendre la seconde partie de la saison pour voir Colin et Penelope bien occupés (et ce bien avant leur mariage). La scène, d'une douceur exquise, met surtout en avant la verbalisation du consentement. Penelope, jeune première, découvre les plaisirs de la chair avec le meilleur partenaire possible : un partenaire qui lui demande où est-ce qu'il peut la toucher, qui s'assure à plusieurs reprises qu'elle a toujours envie d'aller au bout, qui fait en sorte qu'elle se sente la plus à l'aise possible.
Une représentation plutôt rare de la sexualité donc, qui nous renvoie évidemment à nos expériences personnelles : rares sont les femmes qui ont vécu la même prévoyance lors d'un premier rapport. Dans une étude #NousToutes en 2020 sur la question du consentement, 9 femmes sur 10 déclaraient avoir fait l'expérience d'une pression pour avoir un rapport sexuel. Dans 88% des cas, cette pression était répétée. Pire, pour 1 femme sur 6, l'entrée dans la sexualité s'est faite par un rapport non consenti.
Les résultats de cette enquête mettent en lumière l'absence de consentement dans la majorité des rapports sexuels, encore plus chez les jeunes filles qui entrent dans l'univers de la sensualité. Plus que jamais donc, il est nécessaire d'avoir des représentations positives, qui rendent le consentement sexy et le normalise (à la différence de Game of Thrones). Outre l'esthétique léchée de cette scène intime entre Penelope et Colin, l'échange entre les deux personnages est important - pour ne pas dire essentiel. La Chronique des Bridgerton a déjà été source d'inspiration pour des techniques de drague, il faut maintenant espérer qu'il en sera de même pour les rapports sexuels.
L'exploration de toutes les sexualités
Autre frère Bridgerton, autre vie sexuelle trépidante. Si Anthony nous a offert des parties de jambes en l'air endiablées, dans cette troisième saison, c'est Bénédict (le second né), qui nous passionne avec sa vie sexuelle hors des sentiers battus. Au détour d'un dîner avec l'élue de ses fantasmes et un ami, le frère Bridgerton se retrouve au cœur d'une partie fine où les trois participants s'acoquinent avec plaisir. De cette scène, on ne verra que les baisers suggestifs et le repos après la bataille.
Rares sont les représentations des relations bisexuelles dans les œuvres cinématographiques, sauf cadre historique : les péplums peuvent jouer sur la sexualité sulfureuse des romains, mais dans la majeure partie des cas, elle concerne plus les femmes que les hommes et est liée à des névroses ou un passif psychiatrique un peu lourd.
Une fois n'est pas coutume, Bridgerton présente la bisexualité de Bénédict comme une normalité, un non-évènement, dont l'impulsion née sur le moment. Là où la série tire son épingle du jeu, c'est que la question de l'état psychologique de Bénédict n'est jamais remise en cause. Une représentation un poil anachronique - la question de la bisexualité n'a été introduite que très tardivement dans le jargon médical et sexuel (fin XIX, début XXe). Si elle a évidemment toujours existé, elle reste pour l'époque une pratique déviante de la sexualité, qui ne devait être destinée qu'à la procréation pour l'église.
Mais, même si la série porte un contexte historique parfois erroné, le pouvoir de la représentation l’emporte sur les différents anachronismes et autres fantasmes des auteurs. Tout comme le consentement, la série a le bénéfice de mettre en avant d'autres formes de sexualité, sans l'imposer, en la suggérant (il ne faudrait pas non plus trop choquer les bien-pensants).
Romance ou sexe ? Pourquoi choisir quand on peut avoir les deux ?
En plus de tout le travail de représentation de la série, Bridgerton remet autre chose au goût du jour : le sexe avec des sentiments. Depuis les années 2010, notre rapport à la sexualité a évolué avec l'avènement des applications de rencontre. Il est aujourd'hui presque plus rapide de se faire livrer un plan cul que des sushis. Ce culte du dating a outrance a eu un effet pervers, celui de nous pousser à consommer le sexe sans sentiments. Bridgerton remet l'église au centre du village et nous propose le meilleur des deux mondes : des scènes érotiques positives et pleines de sentiments qui nous donnent à nouveau envie de croire au grand amour.
La popularité de Bridgerton et de la culture du romantisme est loin d'être un cas isolé. Il suffit de jeter un coup d'œil aux tops Netflix pour se rendre compte que les histoires à l'eau de rose ont la cote : productions anglophones et Kdrama se tirent la bourre sur le marché du romantisme à la télé, une tendance qui s'illustre parfaitement dans la popularisation de la "Slowmance", une tendance dating qui invite à prendre son temps pour créer un lien émotionnel avec l'autre. Parce que finalement, il n'y a rien de plus significatif que de prendre le temps de connaître quelqu'un dans un monde de plus en plus busy.