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“Les hommes hétéros ne savent pas que j’existe” : comment Mahaut Drama a explosé en 2024

Avec un 2024 digne d’un biopic - tournée nationale de son spectacle, punchlines aiguisées à la télé et abonnés conquis sur Instagram – il était impensable de ne pas tirer le portrait de Mahaut Drama, véritable crush de l’année qui incarne tout ce qu’on adore : le talent, le mordant et l'envie de dynamiter les codes.

Écrit par Juliette Gour le

Une première cover, c’est comme une première fois : ça ne s’oublie pas. D’où l’importance de choisir quelqu'une qui a le mood Herstory. Alors, on a listé les femmes qui avaient marqué l’année 2024 et Mahaut Drama nous est venue comme une évidence : humoriste et chroniqueuse giga watts sur Quotidien, Mahaut, c’est la meuf qui dérange, qui ose dire tout haut ce que l’on chuchote entre potes et qui n’a pas peur de porter du fard irisé en 2024 - c’est peut-être son plus bel acte de bravoure. Et quand on a su que son one woman show avait obtenu trois T sur Télérama, notre sang n'a fait qu'un tour : il fallait que ce soit elle, notre première covergirl Herstory (la première d'une longue série), qu'on allait interviewer et photographier en cette fin d'année dans une ambiance paillettes. Mahaut Drama, alias Mahaut di Sciullo à l’état civil, n’a pas été choisie par hasard. Si son talent indéniable et son franc-parler légendaire n’étaient pas déjà des arguments suffisants, il faut dire que 2024 était son année. Une année de consécration où tout s’est aligné pour la propulser sur le devant de la scène. Avec 127 000 abonnés sur Instagram,20 000 sur TikTok, une tournée nationale de son spectacle, justement intitulé Drama Queen, et une présence quotidienne à la télévision, Mahaut a littéralement décollé. Et pas juste un petit saut de cabri, non. On parle d’une ascension stratosphérique pour cette Parisienne bien rodée aux plateaux de stand-up et aux podcasts.

Surtout, elle incarne à merveille ces femmes qu’il faut applaudir quand elles s’emparent de la visibilité – celle qui compte, à une heure de grande écoute. Car chez Quotidien, où elle déroule ses chroniques devant un public de 1,3 million de téléspectateurs, Mahaut ne prêche pas dans le désert. Mais si la pression d’un tel exercice pourrait en terrasser plus d’un, elle, reste imperturbable. Préparer des chroniques tous les quatre matins ? Une broutille. “Je ne trouve pas ça stressant”, lâche-t-elle avec un calme déconcertant, en glissant au passage une leçon précieuse : le bien-être au travail, c’est non négociable. “Je m’y sens bien, je ne suis pas censurée...” Voilà donc son secret pour briller : une liberté totale et un job où elle peut s’épanouir. En même temps, niveau chronique, l'humoriste n’en était pas à son coup d’essai, puisqu'elle est passée par Radio Nova en 2020 et sur France Inter en 2023, aux côtés de Charline Vanhoenacker. Deux excellentes écoles de l’humour, qui lui ont appris à rebondir sur l’actu avec aisance, sans jamais oublier qu’avec le rire, tout se dit mieux. Les fées qui se sont penchées sur le berceau de Mahaut lui ont donné un talent pour la verve et un esprit qui analyse avec brio le monde, un peu moche, qui nous entoure. Les hasards de la vie font qu'elle peut aujourd'hui, à 30 ans, exploiter ce talent pour réveiller les consciences et signer des punchlines qui marquent les esprits. "Mon corps, ta gueule"par exemple, tiré d'une chronique sur Quotidien sur le mouvement 4B s'affiche fièrement sur les pancartes des manifestations féministes. Et Mahaut ne pouvait pas rêver meilleure validation.

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© M. Stojic/Herstory
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© M. Stojic/Herstory

On s’est évidemment amusées à lui poser des tas de questions, comme le meilleur conseil pro qu’on lui ait donné, par exemple. Cette palme revient à Charline Vanhoenacker donc, qui lui a dit, avant son premier Quotidien en tant qu’invitée, “C’est pas parce que les gens ne sont pas d’accord avec toi que tu ne peux pas les faire rire”. Le rire comme langage universel, mais aussi comme pouvoir… C’est sûrement pour ça qu'en vrai, ça dérange les vieux culs de voir une femme drôle : c'est une qualité qui lui confère un pouvoir supplémentaire et, soyons honnêtes, il y a encore trop de gens qui n'aiment pas voir une femme avec du pouvoir. L'humour, ça dérange, et pas qu’un peu. Tellement que certains sont prêts à sortir l’artillerie lourde pour tenter de faire taire celles et ceux qui osent détonner. “Ça n’a pas été drôle tous les jours… J’ai été harcelée par l’extrême droite, j’ai encore cinq plaintes de députés RN en cours. C’est un peu ma légion d’honneur perso…”, balance Mahaut avec un pragmatisme désarmant. Mais derrière cette réplique tranchante se cache une réalité plus âpre : la notoriété, si elle ouvre des portes, fait aussi de vous une cible parfaite pour les haters misogynes et les trolls enragés.

2024, son année, n’a donc pas été qu’une success story. Et elle ne s’en cache pas. Si Mahaut a brillé sur scène comme à l’écran, elle a aussi pris quelques coups. Parce que, spoiler alert, tout n’est pas rose dans le monde de Mahaut – contrairement à sa garde-robe. On a essayé de comprendre ce qui la rendait si irrésistible… Et on a peut-être trouvé la réponse : c'est une bête de meuf oui, mais elle a surtout un talent certain pour voir le verre à moitié plein et, dans un monde peuplé d’aigris, il n’y a pas plus rafraîchissant. Elle l’avoue elle-même : “Le malheur, le bonheur, tout est dans l’absurde. Si c’est le bonheur, j’y vais à fond.” On n'est pas médiums, mais on est convaincues que c’est cette philosophie de vie qui lui a permis d’en arriver là où elle est, tout en rallongeant considérablement son CV : comédienne, humoriste, chroniqueuse, analyste politique… Ça en fait des skills.

Rencontre avec notre femme de l'année, celle qui a mis des paillettes dans nos télés (et quelques bonnes idées dans nos esprits).

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© M. Stojic/Herstory
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© M. Stojic/Herstory

Herstory. Un seule en scène qui cartonne, les chroniques sur Quotidien... On peut dire que cette 2024, c'était l'année Mahaut non ?

Mahaut Drama. Ça nourrit le monstre de l'ego en moi de dire "C'est l'année Mahaut" - merci beaucoup. Oui, c'était une bonne année, mais il y a eu aussi beaucoup de trucs très durs qui se sont passés : j'ai été harcelée par l'extrême droite. J'ai quand même encore à ce jour cinq plaintes de députés du RN, c'est ma petite légion d'honneur à moi. J'ai failli me faire virer de France Inter, j'ai dû déménager à cause des menaces de mort. Ça n'a pas été drôle tous les jours, mais à côté, tout a été contrebalancé avec le succès.

Le spectacle du coup ? Comment se passe cette fin de tournée ?

Le spectacle plaît, j'en suis très contente. On a commencé dans une petite salle de 20 places il y a quelques années et aujourd'hui je suis à l'Européen [un théâtre parisien, ndlr], on est 350. Quand on a eu un peu plus d'argent, on a pu ajouter un décor, je suis partie dans mon délire : j'ai mis un cœur avec des lumières pour nourrir ma Broadway fantasy...On va jouer les toutes dernières dates à Paris et il y aura une dernière - qui va être exceptionnelle - aux Folies Bergères en novembre 2025.

Et pour le reste ?

Quotidien : trop bien, bonne team, je ne me sens pas censurée. Franchement, je me sens libre. Et en parallèle de tout ça, j'écris aussi un bouquin [sur la fête, aux éditions Robert Laffont, ndlr] - j'ai terminé la dernière page hier. Ça va sortir bientôt et j'ai hâte de montrer ça aux autres.

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© M. Stojic/Herstory

L'effet télé et radio, c'est évidemment la visibilité, avec les bons et les mauvais côtés. Le harcèlement de la part du RN, ce n'est pas la validation ultime ? La preuve que ta voix a du poids et c'est pour ça qu'elle dérange ?

C'est drôle, mais le harcèlement de la part du RN et des médias sympathisants, c'est quelque chose d'assez commun chez Inter.Tout le monde a déjà été harcelé dans la bande, c'est presque quelque chose de normal et du coup ils étaient étonnés de mon émotion, parce qu'ils s'y sont trop habitués. La blague, c'était : "Non mais Mahaut, tu es l'une des nôtres." Est-ce que ça veut pour autant dire que ce que je dis compte ? Je n'en sais rien, j'ai arrêté de me faire des illusions. Je pense que je suis surtout là pour faire des blagues cathartiques, pour les gens qui ont besoin d'une safe place et de se dire que le progressisme, c'est encore quelque chose de chouette. Surtout avec la guerre culturelle et idéologique qui a lieu en ce moment… que je pense que l'on est un peu en train de perdre. La solution, ce serait d'avoir un millionnaire de gauche qui rachète tous les médias et qui mette Sandrine Rousseau en présentatrice, mais là ce n'est plus une interview, c'est un appel aux dons.

Si on liste ton CV, on retrouve dessus comédienne, humoriste, journaliste, chroniqueuse, analyste politique... Il y a quelque chose que tu ne sais pas faire ?

Bien sûr, il n'y a plein de choses que je ne sais pas faire ! Je ne sais pas faire du sport, c'est contre mes valeurs et mes principes. Je ne sais pas chanter. Je ne sais pas encore si je sais jouer. J'ai fait beaucoup de théâtre dans ma vie, mais cette année j'ai commencé à courir les castings pour me tester un peu. On verra.

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© M. Stojic/Herstory - Fond de teint Shiseido, highlighter Anastasia Beverly Hills et Max, lèvres Makeup Forever et Mac, sourcils Anastasia Beverly Hills et gel L'Oréal, yeux Danessa Myrick et Suqqu, blush Suqqu, bronzer Makeup Forever

Une femme humoriste, c'est encore subversif en 2024 ou c'est devenu normal ?

Ni l'un ni l'autre,mais je pense que j'ai un plafond de verre au-dessus de ma tête et je m'en rends compte en soirée. Les hommes hétéros ne savent pas que j'existe, ce sont les personnes queer et les femmes qui me connaissent généralement. Je pense qu'il y a encore un effet de niche. Mais ça bouge ! Il y a une charte qui a été écrite pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles [intitulée Dans ce Comedy Club, ndlr], de nombreux Comedy Clubs l'ont adoptée. On mitraille toutes en interviews pour qu'il y ait une parité dans les humoristes programmés sur les plateaux. J'ai espoir que les choses changent…

Il y avait quoi sur ton vision board de 2024 ? Tu as coché toutes les cases que tu voulais ?

Ça va être le moment "sorcière qui écrit des sketchs avec le sang de ses règles", mais pour cette année, j'avais un vision board sur lequel j'avais dessiné Yann Barthès dessus. J'avais mis Le Fridge qui, à l'époque était un Comedy Club qui ne payait pas au cachet et, depuis, je suis passée au cachet. Il y avait Konbini etj'ai fini par faire des vidéos avec eux. En fait j'ai coché beaucoup de choses. Quand on le dit comme ça, ça fait très success story, mais il faut garder en tête que c'est le résultat de beaucoup d'années de travail et de beaucoup de larmes. Ça, personne ne le voit. En réalité, il y a plein de moments où j'ai voulu arrêter le stand-up, j'ai beaucoup souffert de sexisme dans le monde de l'humour... Y'a aussi plein de choses que j'ai raté : Science Po - genre 15 fois -, les écoles de journalisme - que j'ai eu au bout de la troisième fois -, les Beaux-Arts deux fois, j'ai raté les conservatoires de théâtre à chaque fois que je me suis présentée. Je pense que cette année est le résultat de toutes ces épreuves ; toutes ces tentatives ont mûri et avec le bon moment, la bonne rencontre, ça a fini par se concrétiser. C'est ça qui donne une impression d'explosion, mais c'est lié à de nombreux échecs.

Que reste-t-il à cocher sur cette liste ?

Mon rêve, ce serait de faire un peu de cinéma [rires], autant devant que derrière la caméra. J'adore monter des vidéo et j'adorerais réaliser ou écrire des scénarios de pastille - j'ai un peu commencé cette année, mais j'avance encore doucement sur ce projet-là. J'avais aussi tenté une école de stylisme car c'est un rêve d'enfance et j'avais été acceptée à l'École de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne [aujourd'hui IFM, ndlr], mais je ne pouvais pas payer les frais de scolarité. Chaque année depuis, je passe une bourse - que je n'ai jamais eue... Mais j'ai toujours ce rêve et je crois qu'un jour, je vais enfin réussir à me former. J'ai une pote qui fait des bijoux et on va peut-être faire une collab l'année prochaine. Je crois que ce serait ça mon rêve ultime, de me dire que toutes ces années que j'ai passées à dessiner des silhouettes me servent à quelque chose.

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© M. Stojic/Herstory - Mahaut porte un top Noshy, une jupe Lili Sidonio, un sac Lancel, des bijoux Lug Paris et Zag Bijoux.

Alors, en vrai, trente ans, c'est l'âge de raison ?

Je ne sais pas [rires]. Je sais que j'ai toujours raison sur très peu de choses. J'ai toujours très peu de responsabilités d'adulte... On m’a toujours dit "Il faut que jeunesse se passe", mais pour moi, "jeunesse" ne passe pas du tout. Encore hier, j'ai bu trop de vin blanc en terrasse avec des copains en répétant sans cesse "Faut que je rentre", je suis rentrée à 3 heures du matin. Je pense surtout que 30 ans, c'est un âge où on peut se réaliser. Pour autant, je n'ai pas de bon conseil à donner, que ce soit en amour, en immobilier ou en enfants. La seule chose que je garde en tête c'est que je n'ai pas déçu mon enfant intérieur. Je suis contente d'avoir eu le courage de mes désirs, mêmes dans les moments difficiles. C'est un peu cliché, mais c'est vrai, ce sentiment du seul contre tous, surtout quand on n'a pas un rond. En fin de compte, je suis assez fière de ne pas avoir lâché le truc... Et y'a plein de gens qui ont énormément de talent mais qui n'ont pas encore eu la fenêtre d'ouverture nécessaire pour le prouver.

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© M. Stojic/Herstory
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© M. Stojic/Herstory

Dans un principe de sororité, quelles sont selon toi les trois personnes qui vont exploser en 2025 ?

La première, c'est une rappeuse. Elle s'appelle Morgan, j'adore son écriture et ce qu'elle renvoie à travers son travail.

La seconde, c'est Charlotte Deslions, qui est humoriste et comédienne, d'une sensibilité inouïe. Elle est aussi profondément drôle... Pour moi, cette fille est une star, c'est juste que les autres ne sont pas encore au courant.

La troisième, c'est une drag-queen, Babouchka Babouche. Ça fait des années qu'il a ce personnage de femme politique et mannequin d'extrême gauche. Je rêve qu'il fasse Drag Race, qui lui donnerait une visibilité de dingue... Il faut que tout le monde aille voir ce qu'il fait.

Comment va se terminer cette année pour toi ?

Je vais passer les fêtes auprès de ma grand-mère que j'adore. C'est une de mes reines. Elle a 94 ans, c'est donc les derniers moments où je vais être avec elle pour broder dans le salon... En se disant rien, mais en se disant tout rien qu'en étant là. Et après, j'ai beaucoup de chance, je vais passer le nouvel an en Côte d'Ivoire, c'est la première fois que je vais en Afrique. Prévoir ce voyage, ça m'a aussi permis de comprendre quelque chose : grâce au succès, je ne suis pas forcément devenue riche, je ne suis juste plus pauvre et je peux partir en voyage. Celui qui arrive, c'est un peu le voyage d'une vie et j'ai trop hâte.

Et que peut-on te souhaiter pour l'année prochaine ?

Des pluies de paillettes, beaucoup d'amour, encore plus de sororité… et Marine Tondelier Première ministre ! •

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© M. Stojic/Herstory

Vous pouvez retrouver Mahaut Drama dans sa chronique sur Quotidien et dans son spectacle Drama Queen, en tournée dans toute la France.

Rédaction en chef : Mélanie Wanga
Propos recueillis par : Juliette Gour
Vidéo : Adèle Simper et Ilona Lemaire
Photographie : Maya Stojic
Stylisme : Anouchka Mbia
Coiffure et maquillage : Zahra Hair and Makeup

Merci au Chouchou Hotel à Paris 9e pour son accueil et sa bienveillance.