On a vu le film “Priscilla” de Sofia Coppola et voici ce qu’on en a réellement pensé
4 ans après son dernier long-métrage, Sofia Coppola revient en salles avec un biopic captivant : "Priscilla". Entre déconstruction du mythe et émancipation féminine, le film a tout de la vision de la réalisatrice et les avis sont multiples...
Écrit par Téa Antonietti le
On a toutes plus ou moins un lien avec les films de Sofia Coppola. Comme si elle avait grandi avec ses héroïnes, la réalisatrice cherche depuis son premier court-métrage à représenter au mieux l'adolescence, son ennui comme sa complexité. L'ennui d'être une jeune femme pas encore adulte que l'on enferme dans la case de "demoiselle", jamais à l'abri de se faire couper les ailes. La difficulté de traverser l'adolescence en se cherchant éperdument, à l'aube de devenir la personne que l'on sera pour le restant de nos jours...
Dans "Virgin Suicides", des jeunes filles qui aspirent à vivre sont ôtées de toute lumière du jour par un mode de vie austère. Dans "Marie-Antoinette", la jeune dauphine de France est en réalité une adolescente enfermée dans une cage dorée qui cherche à exister sans son corset. Le 3 janvier 2024, Sofia Coppola revient en salles pour nous proposer le portrait d'une captive sous emprise d'un prétendu conte de fées : Priscilla Presley. La réalisatrice résume son film en un mot : identité. Voici ce qu'on en a vraiment pensé.
Priscilla avant, pendant et après Elvis Presley
Une volonté de percer le mythe de cette royauté américaine
À Memphis, entre les murs de Graceland, Priscilla Presley est la femme du King, constamment apprêtée, des doigts de pieds pédicurués aux cheveux ultra laqués. Si cette vie royale souvent associée à un conte de fées s'est longtemps tenue à l'écart de sa réalité, Sofia Coppola s'intéresse à sa face cachée. Elle rembobine l'histoire, se plonge dans les archives et écoute raconter Priscilla elle-même, sa rencontre avec Elvis.
Priscilla a 14 ans, lui 24, tous deux sont en Allemagne, elle, sur une base de l'armée américaine où son père est affecté, lui, en plein service militaire. En deuil de sa mère adorée et coupé dans son élan d'artiste le plus demandé du moment, Elvis Presley cherche désespérément du réconfort et lorsqu'il pose ses yeux sur la jeune Priscilla Beaulieu, il n'est pas question de s'en détacher.
Au-delà de la fascination d'une jeune adolescente amoureuse et d'une pop star ambitieuse, Sofia Coppola ne réduit pas leur histoire à un coup de foudre, mais s'attaque plutôt à la genèse d'une relation complexe entre deux individus. Cela, perçu à travers les yeux de Priscilla, qui se voit grandir et trouver son identité au sein d'un mode de vie extraordinaire.
Pour incarner la part d'ombre d'Elvis, Jacob Elordi fait son cinéma
Priscilla Presley a coproduit ce film qui porte son nom. Inspiré de ses dires et de ses écrits, littéralement, tiré de son livre "Elvis et moi", il va de soi que son personnage est représenté avec empathie. Ce qui n'empêche en rien une fidélité bien gardée quant à la réalité de sa vie. Pour ce qui est d'Elvis Presley, sa part sombre est à son tour justement traitée, sans filtres ni mythe agrémenté.
On fait alors la rencontre d'une star de la pop devenue royale, entourée d'une véritable cour masculine, dont les sujets rient aux éclats à ses moindres faits et gestes et où les prétendantes se comptent par milliers. On assiste aussi aux dessous d'une personnalité paranoïaque, obsédée par son propre culte qui le pousse à des addictions médicamenteuses et autres attitudes infidèles...
Incarné avec acuité par l'étoile montante d'Hollywood Jacob Elordi - qui excelle dans des intrigues profondes à l'inverse de son personnage frustré à force de cumuler les navets - Elvis est montré torturé par un tempérament qui lui fait défaut. Loin de le traiter comme un prédateur dégénéré, Elvis est exploré avec sensibilité, à travers un seul regard : celui de Priscilla.
Dans la peau de Priscilla, le tour de force de Cailee Spaeny
La révélation du film, c'est Cailee Spaeny. Interprète de Priscilla Beaulieu à 14 ans, puis de Priscilla Presley à 29 ans, sa performance juste et fluide lui vaut le prix de l'interprétation à la Mostra de Venise. Dès lors qu'on la découvre dans la peau de Priscilla, on s'apprête à l'écouter, la regarder, la comprendre et non l'examiner, la contempler, ou encore la juger.
La jeune actrice nous livre une mise en abîme d'une adolescente guidée par ses sentiments et celui qu'elle aime, qui voit son conte de fées à deux peu à peu se transformer en une descente aux enfers à l'issue individuelle.
Sa volonté d'aimer crève l'écran, sa maturité nous transperce le cœur et bien qu'elle soit effacée pour laisser la place à celui qui est né pour briller, elle n'en demeure pas moins talentueuse par son humanité d'une force inestimable. Si Priscilla passe une grande partie de sa jeunesse à trouver sa place dans un monde hors normes, Cailee Spaeny a bien déterminé la sienne avec une interprétation aussi spontanée que travaillée.
La cage dorée, thématique en or pour Sofia Coppola
La fidélité à l'identité de son héroïne
Quand on apprend que Sofia Coppola ignorait beaucoup de la vie de Priscilla avant de lire "Elvis et moi" et d'en faire son héroïne, on ressent encore plus sa volonté d'offrir une lecture de son histoire en profondeur. La promesse est respectée. Priscilla est amoureuse, rêveuse, attentionnée, mais aussi frustrée, blessée et enfin décidée. On observe la réalité d'une femme en construction, avec des désirs et des émotions, à qui on demande de plaire et de distraire.
D'une lycéenne rêveuse à une épouse malheureuse, la métamorphose est montrée brute, dans une cage dorée au décor glamour. Le regard, les larmes et les faux cils nous saisissent avec profondeur dans ses pensées. Le film nous situe au plus près de son intimité, dans la chambre conjugale où elle passe ses journées, soit plus loin de ses déplacements millimétrés, capturés en unes de journaux...
Finalement, une ode à l'émancipation féminine
Fervente partisane de l'émancipation à tous les niveaux, Sofia Coppola traduit ce désir de liberté chez ses héroïnes. S'échapper d'une cage dorée pour voler de ses propres ailes, se défaire de ses travers, sortir d'une relation dont on ne tire plus de bonne raison... Qu'elles y parviennent enfin ou non, l'émancipation féminine est une thématique récurrente dans le cinéma de Sofia Coppola.
Dans "Priscilla", l'héroïne est captivée par l'emprise de son mari qui dicte tant son comportement que son allure, tout en lui faisant croire à une vie de rêve. S’il nous est progressivement montré une désillusion totale de ce mythe, le film est finalement porté par son désir de s'émanciper pour mieux se sauver. Si bien que leur dernier échange s'achève sur la tranchante déclaration de Priscilla : "Si je reste, je ne partirai jamais"...
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