Est-ce qu’on est en train de vivre la fin du Body positivisme dans la mode ?

Alors que la Fashion Week bat son plein à Paris (et tous les 3 mois partout dans le monde), une question persiste : est-on en train de vivre la fin de la représentation des corps ronds sur les podiums ? Un simple coup d'œil nous permet de nous rendre compte que les corps sont de plus en plus uniformisés (et évidemment : minces).

Écrit par Juliette Gour le

La mode est-elle en train de signer la fin de l'inclusivité sur les podiums ? Si depuis quelques années, les marques faisaient de plus en plus d'efforts pour montrer des corps différents et loin de l'uniformisation que l'on a pu voir dans le passé, depuis quelques saisons, on sent qu'un changement s'est amorcé dans les Fashion Weeks et il n’augure rien de bon pour les années à venir. Si le culte de la maigreur a fait un retour sur les réseaux sociaux depuis l'année 2022 - les exemples de stars plus filiformes que jamais ne manquent pas - en est-il de même pour les marques de mode ? Plusieurs études s'accordent à dire que c'est un fait - idem pour les journalistes de mode qui avouent voir de moins en moins de corps ronds sur les défilés.

En mars 2023, Vogue Business publiait un grand rapport sur l'inclusivité dans la mode à l'issue de la présentation des collections automne/hiver 2023 et le constat est sans appel : seulement 0,6% des mannequins présents sur les podiums étaient des mannequins plus size (taille 44 et plus) et 3,8% faisaient au moins une taille 36. Le reste des mannequins (95%) portaient une taille 34 (parfois moins).

Que doit-on penser de ce retournement de situation, surtout dans un monde qui se veut toujours plus inclusif ? Est-ce que la mode a fait le choix de la différence pour - justement - ne pas suivre la tendance ou est-ce que c'est une mauvaise habitude qui est revenue parce que maigreur et mode vont de pair ?

Les grandes maisons de couture sont-elles responsables de ce retour en force de la maigreur

Si Saint Laurent s'est fait épingler sur les réseaux sociaux pendant la Fashion Week parisienne de septembre 2023, ce n'est pas pour rien. Sur le podium, la totalité des modèles présentés étaient portés par des mannequins (très) minces, qui donnent l'impression d'être à nouveau dans les années 2000. Ce manque d'engagement de la part des grandes maisons de luxe avait déjà été souligné par Vogue Business il y a 6 mois.

Si la taille 32 a officiellement été interdite pour les modèles de défilé, certaines grandes maisons flirtent avec l'illégalité en jouant sur les étiquettes ou en proposant des "grands" XS-S. Ce manque d'engagement des grandes maisons a effectivement un impact sur la représentation des corps dans la presse et sur les réseaux sociaux. Très médiatisés, ils envoient le message suivant : la mode, c'est un corps mince et les corps plus en chair ne sont pas faits pour montrer de la couture.

Des gammes de tailles plus étendues, sans pour autant représenter les corps

Ce qui est étrange, c'est que toutes les marques de luxe se sont mises au diapason et ont étendu leurs gammes de taille. Chanel va aujourd'hui jusqu'à la taille 50, sans pour autant montrer ses modèles sur des mannequins plus size. Idem pour Gucci, qui va aujourd'hui jusqu'au 54, mais n'a pas présenté un seul mannequin plus size sur sa dernière présentation en septembre 2023. On peut donc se demander si l'inclusivité n'est pas motivée par le côté business/image, plus que par une volonté propre des grandes maisons de couture.

Si traditionnellement les marques présentent les vêtements sur des mannequins grands et minces, c'est évidemment pour montrer le vêtement le plus neutre possible, sans avoir à ajuster le modèle aux formes de chaque femme qui défilent (formes qui sont évidemment différentes d'une personne à l'autre). Le problème, c'est que l'inclusivité a fait son bout de chemin - notamment sur les réseaux sociaux - et qu'il est aujourd'hui impossible de nier le fait que le consommateur occidental est à la recherche de marques plus engagées et plus transparentes sur leurs valeurs en interne.

Les jeunes marques ont, en revanche, totalement compris cette nécessité de représentation dans les collections. Ce sont d'ailleurs ces mêmes marques qui font le plus appel à des mannequins plus size pour présenter leurs collections. Nous sommes face à la confrontation de deux mondes et de deux idéologies : celle des marques institutionnelles, qui passent les saisons sans prendre une ride (et sans s'adapter aux nouvelles demandes du marché) et les nouvelles, plus dans l'air du temps, qui ont compris que le body positivisme n'était pas forcément qu'un coup marketing.

Une absence de représentation motivée par un rejet de la "normalisation" ? 

Il est également pertinent de se demander ce qui empêche les marques de miser sur des cabines de mannequins qui représentent tous les types de corps. Au-delà même d'une question esthétique ou par tradition, est-ce que ce n'est pas justement la normalisation du body positivisme qui freine les marques de "faire comme tout le monde" ?

Le propre même de la mode étant de faire rêver et d'offrir de l'exceptionnel, pourquoi cette industrie si florissante devrait se rabaisser à montrer Madame tout le mode ? Une tendance n'est réservée qu'à un petit cercle d'initié et elle meurt dès qu'elle tombe dans le commun, il en va peut-être de même pour le body positivisme, devenu trop mainstream pour faire envie aux plus hautes sphères de la mode.

Il en était de même pour les mannequins racisés dans les années 90-2000. Si Yves Saint Laurent et la vague des créateurs japonais des années 70-80 ont été les premiers à mettre de la couleur dans des cabines désespérément blanches, ils sont longtemps restés en marge de ce qui se faisait dans l'industrie. Heureusement, aujourd'hui, les mentalités ont changé et même si ce n'est pas parfait, on retrouve chaque saison toujours plus d'inclusivité chez les mannequins. Il faut maintenant espérer qu'il en sera de même pour les corps et que dans 10 ans, ce débat autour de la taille des mannequins ne sera plus qu'un lointain souvenir.

Retrouvez plus d'articles dans notre rubrique Société

À lire aussi