Les Talibans interdisent l’école aux filles, mais elles résistent dans l’ombre
En Afghanistan, des millions de filles ont été exclues de l’école, effacées du système éducatif. Mais dans l’ombre, une résistance s’organise, portée par celles qui refusent de renoncer à leur avenir. On décrypte.
Écrit par Erine Viallard le

3 000 000 000. C’est le nombre d’heures de cours que les filles afghanes ont perdues depuis plus de 1000 jours. Depuis mars 2022, elles sont exclues des établissements secondaires et universitaires par décret des Talibans. L’Afghanistan est aujourd’hui le seul pays au monde où l’éducation des filles au-delà du primaire est interdite. Une politique qui, selon l’ONU, constitue un véritable "apartheid de genre", réduisant des millions de femmes à l’ombre de la société, privées de savoir et d’avenir.
Avant 2021, le pays avait pourtant fait des avancées significatives. 4,5 millions de filles étaient scolarisées et 800 000 femmes participaient à des programmes d’alphabétisation. L’accès à l’éducation offrait à ces jeunes Afghanes l’espoir d’un futur où elles pourraient choisir leur métier, contribuer à la société et revendiquer leur indépendance. Aujourd’hui, ces ambitions sont brisées. Les femmes et les filles sont non seulement privées d’instruction, mais aussi réduites au silence, interdites de lire, de chanter ou même de parler à voix haute dans certains espaces publics.
Face à cette oppression, de nombreuses voix s’élèvent, dénonçant une politique qui sacrifie la moitié de la population.
Un avenir confisqué
L’interdiction de l’accès à l’enseignement secondaire et supérieur impacte plusieurs millions de filles. À l’adolescence, elles se retrouvent enfermées chez elles, contraintes d’abandonner leurs rêves. Pour Meher, 16 ans, qui suivait des cours au lycée Rabia Balkhi à Kaboul, cette exclusion est un déchirement : "J’adore la chimie et mon rêve était de devenir médecin. Aujourd’hui, je ne suis pas certaine d’y parvenir." a-t-elle dit à l'UNICEF.
La directrice générale de l’UNICEF, Catherine Russell, rappelle que cette interdiction est une violation des droits fondamentaux : "Les droits des enfants, en particulier des filles, ne peuvent être pris en otage par la politique. Leur vie, leur avenir, leurs espoirs et leurs rêves sont en jeu."
Mais cette privation ne concerne pas uniquement les filles. En excluant la moitié de sa population du système éducatif, l’Afghanistan compromet son propre développement.
L’éducation clandestine : une résistance face à l’oppression
Malgré l’interdiction, certaines Afghanes refusent de se laisser effacer. Dans l’ombre, des écoles clandestines s’organisent. L’ONG FemAID, dirigée par Carol Mann, soutient ces initiatives en aidant à l’ouverture de classes secrètes. "Les cours ont souvent lieu dans des appartements. On négocie avec le propriétaire pour garantir un minimum de sécurité. Les talibans savent, dans certains cas ils ferment les yeux, voire nous envoient leurs propres filles. C’est une situation schizophrène", explique la fondatrice de l’association.
Ces écoles clandestines se multiplient dans tout le pays. Pourtant il n'y a pas que les élèves qui sont en danger. Une enseignante afghane, qui préfère rester anonyme, confie à la BBC : "Mon frère me dit souvent : ‘S'il te plaît, quitte l'école’. Il craint que les talibans ne viennent un jour. Mais mes parents m’ont encouragée à continuer et à enseigner à mes sœurs. Parce que je partage leur douleur. Mon université a également été fermée. Je veux donc aider les filles d’ici à étudier."
Pour ces femmes qui enseignent dans l’ombre, les risques sont énormes. Si elles sont découvertes, elles s’exposent à des représailles sévères. Pourtant, leur engagement ne faiblit pas, porté par la conviction que l’éducation est un droit - pas un privilège.
Une lutte pour l’avenir des Afghanes
L’interdiction de l’éducation féminine en Afghanistan dépasse la question des droits humains. C’est un problème économique, social et civilisationnel. L’éducation estle moteur du progrès, et son absence condamne un pays à la stagnation. Malgré les menaces et l’oppression, les Afghanes résistent. Une élève confie à la BBC : "Nous continuerons à nous battre. Il y aura peut-être, un jour, de la lumière au bout du tunnel."
Si le combat est périlleux, il est aussi nécessaire. L’histoire montre que les femmes ont toujours trouvé des moyens de résister. Et aujourd’hui, elles continuent de se battre, clandestinement ou ouvertement, pour reconquérir ce qui leur appartient : leur droit au savoir et à l’émancipation.