La pop culture a t-elle favorisé la rivalité féminine ?

À l'occasion de la sortie de "Emily in Paris", on décrypte ensemble la manière dont la pop culture a façonné la rivalité féminine.

Écrit par Ninon L'Hostis le

"Vous ne travaillez qu'avec des femmes, vous devez sans cesse vous crêper le chignon."

Cette phrase, on a dû sûrement l'entendre des centaines de fois dans notre vie professionnelle et privée. Il semblerait qu'au commencement, travailler entre femmes soit le symbole d'une certaine rivalité. À partir du moment où deux femmes sont face à face, elles doivent forcément représenter un danger potentiel pour l'autre.

Pourquoi en est-on arrivé là ? Quels sont les rouages cachés derrière cette manière de penser ? Comment, à travers ce que l'on regarde ou ce qu'on lit, la rivalité féminine s'est révélée évidente dans notre société actuelle ? La pop culture a clairement proposé des personnages féminins stéréotypés qui se répètent sans fin. "Le Diable s'habille en Prada,Emily in Paris ou encore Kate Middleton et Meghan Markle... Tous ces exemples illustrent un problème latent de notre système. Pourquoi les femmes sont-elles toujours ennemies dans l'imaginaire collectif ?

Décryptage.

Enjoy,

Les Éclaireuses

Pourquoi être rivales ?

Dans cette société patriarcale, il a bien fallu que les femmes s'imposent, quitte à se rabaisser entre elles. Alors que dans le domaine professionnel, notamment dans certains milieux, le nombre de femmes était minoritaire, celles qui réussissaient à trouver leur place ne pouvaient qu'être ennemies. La rivalité féminine est le produit d'un système majoritairement masculin où les femmes ont dû se détester afin de se frayer un chemin vers la réussite.

Tout cela découle d'une construction et d'une éducation spécialement féminine. "Elle porte une jupe trop courte" ou encore "Celle-là, même le train lui est passé dessus". Ce type de phrases, on l'a toutes entendu venant de la bouche de nos mères ou de nos copines. Dès que l'on rencontre l'une de nos semblables, on commence à se comparer plutôt que de ressentir de l'empathie. Nous avons été conditionnées à nous critiquer. Ainsi, le contraire, c’est-à-dire s'apprécier, semble impossible.

S'ajoute à cela une considération primordiale pour le physique. En tant que femme, notre apparence est scrutée depuis notre enfance et le schéma se répète de mère en fille. Notre corps est emprisonné par le regard masculin, mais également par le regard féminin. La misogynie intériorisée est monnaie courante dans nos vies. Ainsi, lorsqu'une fille porte une tenue un "peu trop osée" (nommée ainsi dans une société patriarcale), une femme aura tendance à lui dire de changer de vêtements ou la critiquer.

Le pire dans l'histoire, c'est que nous n'avons pas été habituées à ressentir la compétition ou la rivalité. Lorsque les femmes ressentent de la rivalité, cette dernière sera dissimulée, car nous ne sommes pas éduquées pour montrer ce genre de sentiments. Tandis que les hommes ont toujours eu l'habitude de se mettre en compétition et de se battre pour le pouvoir et la gloire. 

Dans la pop culture, la rivalité féminine a été le moteur de nombreuses histoires que l'on adore et qui font partie de nos références. Sans nous en rendre compte, nous avons assimilé ce type de rapports de force et de confrontation entre les femmes. Andy et Emily dans "Le Diable s'habille en Prada", Camille et Emily dans "Emily in Paris" ou encore Kate Middleton et Meghan Markle.

Emily et Camille dans "Emily in Paris"

La série "Emily in Paris" est bien connue pour ses clichés divers et variés. Les personnages féminins n'échappent pas à la règle des stéréotypes !

Emily et Camille représentent le motif le plus redondant de la pop culture : la blonde et la brune. À l’instar de Marilyn Monroe et Jane Russel, les deux protagonistes sont montrées comme des rivales.

D'un côté, la série met en scène Emily Cooper, une jolie Américaine parfaite et un peu coincée qui ignore tout du french way of life. De l'autre, on a Camille (qui n'a pas de nom de famille), libre et parisienne jusqu'au bout des ongles. Dès le départ, elles sont différentes à travers leurs origines, leur physique et bientôt leur vie amoureuse.

Au départ, les deux jeunes femmes sont amies (seulement durant les deux premiers épisodes) jusqu’à ce qu'un homme débarque dans l'intrigue et fasse tout capoter. Comme par hasard, l'entrée d'un personnage masculin dans l'histoire transforme Camille et Emily en rivales de la première heure. Dans cette optique, on comprend qu'Emily et Camille deviendront forcément des ennemies.

Le réalisateur Darren Star met une fois de plus en avant une blonde et une brune qui se "crêpent le chignon" pour une relation amoureuse. Original, n'est-ce pas ? Et même si on adore Gabriel et sa poêle sale, on se demande encore pourquoi Emily et Camille sont en confrontation.

Kate Middleton et Meghan Markle

Kate Middleton et Meghan Markle ne sont pas des personnages issus d'un film ou d'un livre. Elles existent réellement et ont été catégorisées comme rivales par les médias anglais. Ces derniers sont principalement dominés par des hommes blancs, riches et conservateurs. À partir du moment où Meghan est entrée dans la famille royale, les tabloïds ont opposé les deux princesses en présentant Meghan comme une hystérique. Un terme si souvent attribué au genre féminin.

Ces deux femmes sont tout de suite comparées physiquement et mentalement. Kate est la parfaite future reine et Meghan est l'actrice américaine qui fait tache dans le paysage anglais. Chaque petit détail de leur vie est mis en exergue par la presse afin de les monter l'une contre l'autre.

Une histoire d'avocat va semer le trouble dans les couloirs de Buckingham Palace. Dans un article du journal L'Express, Kate mange des avocats pour réduire ses nausées dues à ses grossesses tandis que lorsque Meghan mange un avocat, elle ne respecte pas ses principes et pollue la planète. Le système saisit un infime détail et pousse les deux femmes à se détester.

À cette rivalité féminine s'ajoute un racisme systémique qui en plus d'opposer deux femmes en discrédite une plus que l'autre à cause de sa couleur de peau. Les médias encouragent les titres tapageurs et les fausses informations, car sans nous en rendre compte, nous sommes friandes de ce type de conflits féminins.

Andy et Emily dans "Le Diable s'habille en Prada"

Pour finir, comment ne pas évoquer le film mythique des années 2010 !

Dans "Le Diable s'habille en Prada", le milieu de la presse dite "féminine" contraint Emily et Andy à se haïr. D'un côté, Emily est un pur produit de la société de consommation du luxe et de la mode. La jeune femme est conditionnée pour devenir la Miranda parfaite : impitoyable, mince et froide. De l'autre, on retrouve Andy, une jeune femme simple et talentueuse qui a le choix entre se fondre dans le moule ou ne pas réussir. La grande question est pourquoi sont-elles présentées comme des ennemies ?

"Le Diable s'habille en Prada" est un pur reflet d'un système féminin où la misogynie intériorisée a été institutionnalisée. Les femmes ont réussi à prendre le pouvoir, mais ceux qui dominent restent, malgré tout, les hommes. D'ailleurs, les personnages masculins dans le film sont aussi problématiques que les personnages féminins. Miranda se fait chasser de son poste par un homme, mais elle évince son ami Nigel.

Ainsi, Emily utilise la méchanceté envers ces potentielles rivales. On ne peut pas en vouloir à ce personnage, car il est simplement en accord avec ce qu'on lui a appris. Si Emily avait été éduquée avec les valeurs de la sororité, le film n'aurait pas été le même. Au lieu de ça, Emily ne vit que pour atteindre un idéal féminin inaccessible et erroné où toutes les filles devraient être maigres, méchantes et habillées en Chanel.

"Le Diable s'habille en Prada" est le symbole d'une féminité façonnée par le male gaze, les préjugés et la misogynie intériorisée. Il faut parvenir à déconstruire toutes ces idées afin d'éviter de voir une femme comme une ennemie. Bien sûr, tous ces préceptes sont plus faciles à dire qu'à faire, mais tout est une question de point de vue et de prise de conscience !

Par conséquent, la rivalité féminine découle de tout un système de construction et de pensées toutes prêtes. Les réalisateurs, les médias et la pop culture ont forgé dans les mentalités une rivalité entre les personnes du même sexe. En 2023, l'idée est de déconstruire ces schémas malsains afin de tendre vers une sororité où les femmes seront sœurs plutôt qu'ennemies !

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