Pourquoi le bodypositivisme a ses limites ?
Célébrer tous les corps, c'est important. Comprendre qu'il n'y a pas "un corps parfait", c'est nécessaire. Mais imposer aux femmes d'accepter leur corps sans conditions est un peu extrème...
Écrit par Alice Legrand le
Depuis quelques années, sur les réseaux sociaux, on assiste à une normalisation de la cellulite, des poignées d'amour, des cicatrices, des cuisses qui frottent, des poils en pagaille, des rides, du ventre après-grossesse ou encore du double-menton. Car ce sont des choses naturelles, et c'est très bien.
Nous même avons fait de nombreux articles bodypositivisme, parce qu'il est important de montrer qu'il n'existe pas qu'un type de corps. Et surtout que le corps parfait n'existe pas : ce n'est pas celui qu'on nous montre constament sur les réseaux sociaux et dans les médias.
Mais une tendance est grandissante : les femmes sont de plus en plus nombreuses à exprimer leurs réticences envers le mouvement bodypositive. Car il permet de représenter une plus large diversité de corps, mais il culpabilise aussi les femmes qui malgré leurs efforts, n'arrivent pas à se sentir bien dans leur peau.
Le bodypositivisme, une réalité utopique ?
À la manière du greenwashing, de nombreuses marques se sont raliées au mouvement bodypositive dans le but de montrer leur ouverture d'esprit et ainsi de mieux vendre. C'est vrai qu'une marque qui fait des efforts pour proposer une très large gamme de taille plutôt qu'une qui prône la taille unique - comme Brandy Melville, sera plus appréciée. Mais beaucoup ont voulu se donner une image inclusive en faisant des campagnes de communication avec des mannequins Plus Size, sans qu'en magasin on retrouve ces tailles de vêtements : c'est ce qu'on appelle le woke washing.
La mode n'a jamais été un secteur très inclusif, alors ces dernières années, des efforts avaient été faits. Pourtant, lors de la dernière Fashion Week Printemps-Été 2024, seuls 0,9% des mannequins étaient considérés comme "Plus Size" (comprenez donc, au dessus d'une taille 40 française). Concernant les mannequins de taille moyenne (l'équivalent d'un 38), elles n'étaient que 3,9 %. Le reste faisait au maximum une taille 36. La mode s'est-elle lassée, tout comme ses consommatrices, du body positivisme ?
Sous couvers d'une bonne initiative, un discours culpabilisant
Avec plus de 19 millions de publication sur les réseaux sociaux, le #bodypositive est sur toutes les bouches. Mais il n'aurait "fait qu'accentuer la pression qui entoure l'apparence physique", explique Jörg Scheller, spécialiste des enjeux politiques autour du corps à Süddeutsche Zeitung Magazin. Il complète : "Les contraintes et les injonctions de la société sont restées, mais en plus nous sommes désormais invités à nous satisfaire de notre corps, à défaut de l’apprécier".
Alros ne pas réussir à aimer son corps malgré tout ce que l'on nous montre sur les réseaux sociaux, ainsi que tous les conseils que l'on donne pour mieux s'accepter, ça a de quoi culpabiliser. Et les femmes dans cette situation peuvent vivre ça comme un nouvel échec.
Le bodypositivisme, risqué pour la santé ?
Une mauvaise image de soit peut entraînerde nombreux troubles physiques et mentaux, c'est un fait. Troubles alimentaires, addiction aux régimes alimentaires stricts, mauvaise estime de soi, dépression, culpabilité, anxiété... Les conséquences sont nombreuses. Alors si le body positivisme peut libérer les femmes (et les hommes !) de ces diktats et les aider à mieux accepter leur corps, c'est génial.
Attention cependant à ne pas normaliser l'obésité, qui elle, est une maladie. On peut avoir des kilos en trop, et en être fière, si notre hygiène de vie est bonne. Car oui, ce n'est pas parce qu'on est maigre que l'on ne mange pas, et que l'on est gros que l'on mange trop ! Des fois, il s'agit seulement de morphologie et de métabolisme, si on s'alimente bien et que l'on pratique une activité physique. Il faut faire attention quand le corps rentre en obésité, car cela peut entraîner de graves problèmes de coeur, d'articulations, etc. Alors le bodypositivisme, qui prône parfois l'obésité, devient alors dangereux pour la santé.
Quelle est la place des femmes minces dans le mouvement Body Positive ?
À l'origine, si le mouvement était plutôt destinées aux femmes en surpoids qui souhaitaient normaliser leur corps pour lutter contre la grossophobie, un débat parallèle est apparu lorsque des femmes considérées comme minces se sont mises à poster des photos de leurs bourelets quand elles sont assises, de leur cellulite, ou de leurs cicatrices par exemple. Les femmes "Plus Size" se sont alors senties rejetées au sein de leur propre mouvement quand elles ont vu qu'il contribuait encore à représenter les femmes minces, déjà surreprésentées dans la société.
Mais tous les complexes doivent être pris en compte, sans hiérarchie. Il est important de parler de tous les corps, de toutes les femmes, après tout, c'est aussi ça "être positif avec son corps" !
Quel futur pour le mouvement Body Positive ?
Les standars de beauté ont toujours existés. À chaque époque, il y a eu une représentation du physique idéal. Et s'il ne cesse d'évoluer selon les modes, pour arriver à dire que "tous les corps sont beaux, il n'y a pas de corps parfait", il y a encore du chemin à parcourir. Le "Pretty Privilege" et la charge esthétique des femmes le montrent tout particulièrement.
Ce qui est sûr, c'est que l'on est pour que les standars de beauté disparaîssent. Pour cela, il faudrait tout simplement arrêter de mettre le corps des femmes au centre de nos débats et de nos attentions. Si le chemin est encore loin, on en est persuadées : petit à petit, on y arrivera.