Quand l’interdiction de l’IVG au Texas fait doubler les abandons de bébés

Le Texas, un État où les lois anti-avortement comptent parmi les plus strictes du pays, fait face à une montée tragique des abandons de nourrissons. Une crise révélatrice des failles profondes de son système de santé et de protection sociale.

Écrit par Erine Viallard le

En 2021, le Texas a adopté l'une des lois anti-avortement les plus restrictives des États-Unis et ce, deux ans avant lannulation de l'arrêt Roe vs Wade. Depuis, cette législation interdit toute interruption volontaire de grossesse au-delà de six semaines, et ce sans exception, même en cas de viol ou d'inceste.

Pour les femmes confrontées à une grossesse non désirée, les recours légaux sont pratiquement inexistants. Le contexte est aggravé par un taux de natalité élevéet un manque criant d’accès aux soins - et ce, dans un État qui affiche le pourcentage le plus élevé de femmes non assurées à l’échelle nationale. Ces politiques ont des conséquences sociales et sanitaires dramatiques, notamment une hausse de la mortalité infantile et des abandons d’enfants dans des conditions déchirantes - comme au Texas où le nombre de bébés abandonnés (dans des poubelles) a doublé.

Les bébés du Texas

Selon l'organisation Commonwealth Fund, le Texas est classé avant-dernier en matière de santé des femmes et de soins de santé reproductive. En résulte une véritable explosition des abandons d'enfants non-désirés. Trottoirs, fossés, bennes à ordures, camions-pouvelle... Les trottoirs, fossés, bennes à ordures et camions-poubelles... L'espace public est devenu le témoin muet de cette détresse féminine.

Selon le Washington Post, le nombre d’abandons d’enfants est passé de 7 à 18 cas en seulement trois ans. Les archives locales révèlent des cas glaçants : en juin, deux bébés ont été découverts à Houston, l’un près d’une benne à vêtements et l’autre dans des buissons - tout deux ont été sauvés. En août, ce sont deux autres nourissons qui ont été retrouvés, morts, dans le fossé et dans le compacteur d'un camion-poubelle.

"Il semble qu'il y ait eu... une petite épidémie à ce sujet", a déclaré un responsable du shérif du comté de Harris lors d'un point de presse.

Houston, l’épicentre d’une crise

Houston, grande métropole du Texas, concentre une grande partie de ces drames. Un énième appel passé à une radio de pompier illustre l’ampleur de la crise : "Un bébé trouvé dans une benne à ordures."
Bien que l’État ait adopté la loi dite "Bébé Moïse" - permettant aux parents d’abandonner un nouveau-né dans des lieux désignés sans risquer de poursuites - ces dispositifs restent largement insuffisants et sous-utilisés. Le manque de sensibilisation, associé à la stigmatisation sociale, rend ces abandons encore plus tragiques.

Autre ick, le coût. L’installation de boîtes pour bébés Safe Haven coûte jusqu'à 20 000 dollars pièce. Ces tiroirs climatisés et rembourrés, intégrés dans les murs extérieurs des casernes de pompiers, permettent de déposer un nourrisson de manière sécurisée et anonyme - une alarme silencieuse alertant les premiers intervenants. Malgré un excédent budgétaire record de 32,7 milliards de dollars, les législateurs texans n’ont engagé aucun fonds pour sensibiliser la population à ces dispositifs ou à d’autres initiatives visant à prévenir l’abandon de bébés.

Au lieu de ça, 165 millions de dollars ont été alloués cette année à des programmes censés offrir des alternatives à l’avortement, tels que les centres de crise de grossesse. Ces centres, qui se présentent comme des lieux d’écoute et de conseil impartial pour les femmes, sont régulièrement accusés de pratiques trompeuses et d’informations biaisées, au détriment d’une réelle prise en charge des mères en détresse. Une approche qui laisse les dispositifs comme les boîtes Safe Haven sous-financés et largement méconnus.

Les critiques y voient une conséquence directe de l’interdiction sévère de l’avortement et du manque d’accès aux soins pour les femmes - plaçant la région sous les projecteurs pour des raisons déchirantes.

Un gouvernement inefficace face à l’urgence

Cette crise dépasse les frontières texanes : depuis l'annulation de l'arrêt Roe v.Wade en 2022, 18 États américains ont interdit presque tous les avortements. Mais le Texas se distingue par son inaction face à la détresse des mères et des nouveau-nés.

Les récentes décisions du gouverneur Greg Abbott, comme l’ordre aux hôpitaux de suivre les coûts des soins dispensés aux immigrés en situation irrégulière, alimentent la peur et la méfiance envers les services publics de santé. Beaucoup de femmes évitent de chercher de l’aide ou de se faire soigner, craignant des conséquences juridiques - comme être remises aux autorités.

De plus, l’État refuse de financer des campagnes de sensibilisation pour informer les mères des ressources disponibles en cas d’abandon ou de difficultés. Une politique qui laisse les femmes sans soutien face à des choix impossibles et qui renforce donc le cercle vicieux de la précarité.

Face à ces drames humains, le Texas devient le symbole d’une Amérique divisée sur la santé des femmes et les droits reproductifs. Alors que les abandons tragiques se multiplient, la question demeure : combien de temps encore ces vies brisées resteront-elles ignorées par ceux qui prétendent protéger la vie ?