Qui sont ces ‘tradwifes’ qui prônent un retour aux années 50 sur Instagram ?

Si on donne de plus en plus de crédit et de voix aux combats féministes, il y a des femmes qui ont fait le choix d'aller à contre-courant et de prôner un "retour à la tradition". Leur nom de code : les tradwives. Leur lieu de ralliement : internet et les réseaux sociaux.

Écrit par Juliette Gour le

Internet nous offre, au quotidien, un florilège de surprises. Certains sont même offusqués des comptes qui vulgarisent le sexisme quotidien ou les menstruations. Mais dans le flot permanent des nouvelles tendances, il y en a une qui interloque : celle des tradwives, comprenez "traditional wife" (épouses traditionnelles). Leur credo ? Prôner un retour à la femme au foyer parfaite des années 50

C'est un mouvement qui détonne dans un monde où les femmes se battent quotidiennement et où les féministes ont de plus en plus de voix. Pourtant, il semblerait que les tradwives soient de plus en plus nombreuses, en Europe, aux USA et même en Asie. Si la "trend" est polymorphe et se transforme au gré des pays - l'exemple de l'Asie est un peu à part, sachant que ce sont souvent des pays conservateurs dans lesquels il est "normal" pour les femmes d'arrêter de travailler une fois qu'elles sont mariées ou mères - derrière ce mouvement qui met en avant des valeurs hors d'âges se cachent des idéologies politiques et religieuses bien définies

C'est drôle comme, en un coup d'œil sur les photos classées sous le hashtag #tradwife sur Instagram, on a l'impression d'être transporté tout droit dans des scènes coupées de La Couleur des Sentiments (nous n'évoquons pas ce film au hasard).

Mais alors, quelles sont les motivations de ces femmes?? Pourquoi prônent-elles un retour au temps béni (pas des colonies mais presque) des femmes d'intérieur et surtout, pourquoi un mouvement si rétrograde est-il né ces dernières années ? 

Les Tradwives, un mouvement né en Angleterre qui prône un retour de la femme au foyer traditionnelle

D'où est parti ce mouvement ? D'une femme, une Britannique du nom de Alena Kate Pettitt qui a fondé le blog The Darling Academy. Nadine de Rotschild n'a qu'à bien se tenir, sur ce blog on retrouve pléthores de conseils avisés et éclairés comme "5 façons pour devenir une meilleure femme d'intérieur", "Pourquoi vous ne devez porter que des robes pour être féminine" ou encore les recettes parfaites pour satisfaire l'estomac de votre mari. On croirait lire des coupures de presse d'un numéro de Marie Claire de 1952, et pourtant, c'est bien des articles actuels, publiés de façon régulière sur Internet et les réseaux sociaux. 

Mais si cette autrice était un cas isolé, il n'y aurait aucune raison d'en parler, cependant, il semblerait que le mouvement fasse des émules. Sur Instagram, on voit de jeunes femmes, avec la fraîcheur de leurs 20 ans, poser et reproduire une esthétique digne d'une pub Moulinex

Le mouvement n'inquiéterait pas s'il se limitait juste à l'effet "femme au foyer", chaque femme a le choix de travailler ou non et de faire ce qu'il lui semble bon pour elle et ses enfants. Cependant, le problème majeur derrière le mouvement des Tradwives, c'est toute l'idéologie (plus ou moins clivante) qui se cache derrière le mouvement. 

La tendance des Tradwives, le mouvement antiféministe par excellence ? 

"Je pense que les femmes sont actuellement en train de réaliser qu’il est très difficile d’allier deux emplois, c’est-à-dire travailler en dehors du foyer et être mère tout en faisant les tâches ménagères. La satisfaction d’une carrière professionnelle n’est plus suffisante. Nous avons désespérément besoin d’un retour aux valeurs féminines", c'est ainsi que la tradwife en chef, Alena Kate Pettitt justifie son envie d'un retour à une société plus traditionnelle.

On se demande si Simone Veil n'est pas en train de se retourner dans sa tombe en lisant ces lignes. Les positions d'Alena sont claires : le féminisme, elle le met à la poubelle avec ses épluchures de légume. 

Plus globalement, ce que les tradwives dénoncent, c'est ce que le féminisme a fait aux femmes. Selon elles, cette lutte incessante nous a détournées, nous femmes, de nos objectifs premiers, à savoir la féminité et la dévotion à notre famille. 

Ce n'est pas la première fois qu'un mouvement de la sorte nait en réaction aux luttes féministes. En 1963, le livre Fascinating Womanhood, qui vous donne les clés pour faire durer un mariage, était devenu un best-seller en réponse à la vague de féminisme qui avait envahi l'occident. Ainsi, lorsqu'un mouvement dérange, on préfère prôner un retour aux valeurs traditionnelles parce qu'elles ont quelque chose de rassurant. Sauf qu'en 2021, les tradwives ont Instagram, Twitter et un talent certain pour la mise en scène et le community managing. Le mouvement peut donc évoluer de façon plus insidieuse, glanant, jour après jour, de plus en plus d'adeptes. Mais alors, pourquoi est-ce inquiétant ? Parce que sous ses permanentes impeccables et les tabliers parfaitement repassés se cache une idéologie beaucoup plus sombre

Les Tradwives, un mouvement esthétique, basé sur un style bien particulier, qui se veut politique ? 

Ce qui dérange le plus dans les revendications et les écrits des tradwives, c'est leur nostalgie pour une époque révolue où les femmes et les hommes étaient chacun à leur place. Une époque où le racisme et la séparation des humains selon leur couleur de peau étaient aussi légion. Ce serait se voiler la face que penser que le mouvement est vierge de toutes revendications politiques. Un simple coup d'œil sur les différents comptes Instagram des tradwives permet de comprendre que l'église, le mariage saint et toutes les valeurs puritaines de la religion catholique sont intimement liés au mouvement.

Plusieurs têtes pensantes ont traité du sujet clivant des tradwives, dont Annie Kelly, doctorante à l'université d'East Anglia, qui voit un lien très clair entre certains mouvements numériques sur l'impact de la diffusion de l'antiféminisme et de certaines idéologies d'extrême droite : "extrême droite et épouses traditionnelles mystifient le passé, les années 1950 et 1960 comme un idéal utopique sans conflits raciaux ou de genre". 

Ainsi, entre les recettes de confitures et les astuces de ménage se cachent des posts qui prônent l'importance de la virginité jusqu'au mariage, qui font l'éloge de la vraie masculinité (pas la nôtre non, celle de nos grands parents) et qui, bien évidemment, fustigent l'avortement et la contraception. C'est un mouvement qui est parfaitement à contre-courant des différentes victoires des femmes et des évolutions de la société sur de nombreux sujets.

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Pourquoi ce mouvement de "traditional wife" prend-il de plus en plus d'ampleur sur TikTok, Intagram ou Youtube ? 

C'est loin d'être un phénomène isolé. À chaque période de crise ou d'incertitude, l'humain a tendance à se tourner vers des valeurs "pilier", à savoir : la tradition et/ou la religion. C'est souvent la réponse parfaite pour ceux qui ne trouvent pas les réponses qui leur conviennent dans la société dans laquelle ils vivent. 

Mais, en prônant ce qu'elles prônent, elles balayent d'un coup de main les combats durement gagnés par nos aînés. Elles minimisent des combats encore en cours, comme celui de la charge mentale qui ne serait pas un vrai problème. Ou encore celui de la culture du viol, car, évidemment, pour les tradwives, le problème viendrait du féminisme et de toutes les libertés qu'il a laissées aux femmes. 

Finalement, à les lire, le mouvement des tradwives serait la réponse à tous les maux de la société moderne

Les dérives derrière ce mouvement nous montrent qu'il est encore une fois important de rester éveillé à tous les sujets de sociétés et qu'une menace - même infime - peut (aussi) se cacher derrière une photo Instragram à l'esthétique bien léchée.

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