Les algorithmes des réseaux sociaux vont-ils tous nous rendre masculinistes ?
La société n'est pas toute rose pour les femmes. Sexisme, harcèlement de rue, stéréotypes, violences sexuelles... Un nouveau mouvement émerge ces dernières années et rejoint cette liste à rallonge : le masculinisme.
Écrit par Alice Legrand le
En réponse au féminisme, certains hommes se sentent particulièrement atteints dans leur masculinité. Par peur d'être oubliés, de se faire marcher dessus ou bien d'être "exploités" par les femmes, certains adoptent une réponse ferme : le masculinisme. Ce mouvement, particulièrement politique, réactionnaire et misogyne se base littéralement sur de l'antiféminisme et une vraie haine des femmes.
En tête de file, des influenceurs ultra-virulents qui proposent du contenu mono orienté sur leurs comptes publics mais aussi dans des groupes privés. Leur but ? Vendre leurs techniques pour être ultra-séduisant, se faire respecter par les femmes ou encore être performant au lit. Mais leur objectif premier, c'est de rallier un maximum de monde. Et c'est exactement pour cela que des chercheurs ont récemment mis en avant le lien entre masculinisme et terrorisme d'extrême droite.
Relayée par Slate, cette étude australienne fait référence au comportement de certains garçons, qui est de plus en plus problématique. Heureusement, ça ne touche pas tout le monde, mais même les plus innocents peuvent se retrouver confrontés à ce genre de contenus, et c'est problématique quand on sait que l'accès aux réseaux sociaux se fait de plus en plus jeune.
Peut-on parler de radicalisation masculiniste ?
Certains reportages, comme ceux menés par Konbini ou par France TV Slash, mettent en avant un lien avec les mouvements nazis et l'extrême droite. D'autres études, toujours relayées par Slate, démontrent aussi les liens entre misogynie et terrorisme d'extrême droite.
Rappelons que la définition même de la radicalisation est liée au terrorisme : "La radicalisation est un processus de rupture sociale, morale et culturelle avec les valeurs de la République qui conduit un individu à adopter une nouvelle lecture de la société, de nouveaux habitus, de nouveaux comportements, remettant en cause les fondements du pacte social et légitimant le recours à la violence", peut-on lire sur le site du gouvernement.
Les incels répondent à une idéologie extrémiste qui promeut la violence, et il existe une étude qui qualifie cette communauté comme une menace terroriste. Comme nous l'explique Jessica Benonie-Soler, docteure en sociologie : "la haine des femmes et la non-reconnaissance de l’égalité peuvent en soi constituer un terreau fertile à des actions terroristes". Même sans aller jusque-là, cette idéologie peut donc poser question.
Un algorithme qui joue en la faveur des masculinistes
Les réseaux sociaux ne sont pas sécuritaires pour les jeunes. Entre les contenus violents, pornographiques ou idéologiques, nombreuses sont les menaces et les parents en sont plus ou moins conscients. Le masculinisme fait partie de ces contenus violents normalisés sur internet car les influenceurs qui prônent cette idéologie savent s'y prendre... Et que ceux les hommes faibles ou mal dans leur peau à ce moment peuvent se sentir concernés par leur discours.
Cette année, des chercheurs irlandais ont démontré que, même sans le vouloir, l'algorithme de TikTok et YouTube proposait des contenus misogynes à tous les hommes. En créant quatre comptes simulant l'identité d'adolescents affiliés aux "normes masculines" - soit le sport et les jeux vidéo - ainsi que quatre comptes cherchant explicitement du contenu masculiniste, le résultat est sans appel, l'algorithme a proposé à TOUS les comptes des contenus misogynes. Et particulièrement à ceux qui n'en cherchaient pas mais qui semblaient plutôt intéressés par le sport et les jeux vidéo.
Un danger évident pour les jeunes
Jessica Benonie-Soler est formelle : "Le principal danger du visionnage non désiré de contenus masculinistes est dans la désinformation que ces contenus propagent. Si regarder une vidéo, une fois, n’est pas un danger en soi, c'est l’introduction à ce type de pensées extrémistes qui est problématique. Plus que la question des algorithmes, il est véritablement question ici de la modération sur les plateformes qui n’est absolument pas à la hauteur du nombre de contenu publié". La sociologue poursuit : "Ici, c'est la banalisation des propos masculinistes sur internet qui est très inquiétante".
On comprend mieux pourquoi le clivage politique entre les jeunes, opposant femmes progressistes et hommes réacs, ne cesse de grandir. C’est exactement le même fonctionnement que pour l'algorithme des réseaux sociaux qui semble pousser les contenus à caractère sexuel : il sait que ça plaît, alors il en propose à tout le monde, même à ceux n’ayant jamais montré d’intérêt pour ceux-là.
Comment se protéger et protéger ses proches de ces contenus masculinistes extrêmes ?
Si l'on est inscrit sur les réseaux sociaux, difficile d'y échapper. Alors si l'on a des enfants et qu'on ne souhaite pas leur en interdire l'accès, le mieux reste encore la prévention.
Jessica Benonie-Soler nous confie : "L’éducation aux médias est la clef du rapport des enfants à internet. Il s’agit, pour les adultes qui entourent les enfants et les jeunes adultes, de prendre le temps de déconstruire les discours dans tous les lieux où elles et ils peuvent y être confronté(e)s, à la maison, dans les structures d’éducation et sociale... Éduquer, débattre et accompagner la compréhension de ces images et de ces discours est essentiel".
Les mouvements masculinistes ont toujours existé, sous différentes formes, mais connaissent un regain de visibilité grâce à internet et aux réseaux sociaux. "Le numérique permet, en effet, une accélération et une fédération des forces qui font grandir tous les mouvements et malheureusement même les plus extrémistes", complète Jessica Benonie-Soler.