Pourquoi le sexe a fini par devenir quelque chose de politique ?
Qu'y a-t-il de plus intime que le sexe et notre sexualité ? Pas grand-chose. Pourtant, les choses allant comme elles vont, il semblerait que notre jardin secret soit devenu le porte-étendard d'une flopée de revendications et c'est finalement normal, surtout à une époque où les questions de genre, d'identité et de sexualité font encore débat.
Écrit par Juliette Gour le
Le sexe est politique et cela ne date pas d'hier. Il est devenu politique à partir du moment où il y a eu une distinction entre l'homme et la femme. Pour un certain ethnologue, cela remonterait à l'époque préhistorique, précisément au moment où l'homme (mâle) a compris que sans la femme (femelle) il ne pouvait pas y avoir d'enfant. Dès l'instant où ce "pouvoir" de reproduction a été conscientisé, des rapports de force ont commencé à s'installer entre les sexes. Un débat millénaire donc, qui n'a pas cessé d'avancer (en bien, comme en mal).
Sautons la période antique et le reste de l'histoire pour arriver fin XIXe et début XX, au moment où les premières bribes de militantisme féministe activiste ont vu le jour. C'est là, à cet instant, que l'on a commencé à prendre la mesure de toute la dimension politique qui pouvait se cacher derrière un sexe. Deux camps s'opposaient, d'un côté les femmes (et les sympathisants féministes) qui ne souhaitaient que plus de liberté, et de l'autre les hommes, bien décidés à laisser les femmes à la place qu'ils estimaient juste, la cuisine.
1944, les femmes ont le droit de vote (hourra), mais c'est loin d'être la fin du débat. Ce n'est même que le début d'une opposition des genres qui ne va faire que gagner des participants au fil du temps.
1974, Simon Veil parle de la condition féminine à l'Assemblée. Une fois de plus, la question de la liberté des femmes est tranchée publiquement et politiquement.
2013, c'est au tour des personnes homosexuelles de se faire cuisiner. Une fois de plus, c'est la politique qui décidera s'ils ont le droit d'aimer et de se marier librement.
2016, les personnes transgenres peuvent facilement changer leur identité civile, et ce, sans avoir besoin de prouver une transition physique. Là encore, la politique s'immisce directement dans la question du genre et de ce qu'il est acceptable de faire ou non.
Des exemples, il y en a à la pelle et c'est pour cette raison que l'on considère que le genre, le sexe et l'orientation sont aujourd'hui politiques... Et c'est peut-être même une nécessité d'évolution.
Les Éclaireuses
Le sexe, le genre et l'orientation, des sujets de choix dans le débat politique
En prenant un peu de hauteur, on se rend compte que les questions de genre et de sexe sont aujourd'hui devenues des arguments politiques. Par exemple, les partis conservateurs misent sur l'image de la famille idéale (celle des 30 glorieuses), avec une femme réellement femme et un homme réellement homme (bien masculiniste, évidemment). Les autres partis, plus progressistes, miseront sur des discours agrémentés de féminisme ou favorables aux causes LGBTQIA+.
Dans les exemples les plus marquants, on aura la question du barbecue et de la viande rouge de Sandrine Rousseau (qui débouchera sur une étude du lien entre sexisme et consommation de viande) ou les discours très virulents de la classe politique conservatrice au moment des débats sur le mariage pour tous.
Mais, si les politiques ont décidé de miser sur ces questions pour construire un argumentaire (et rallier les gens à leur cause), c'est qu'ils ont compris à quel point les notions de genre, de sexe et d'orientation avaient un poids dans l'espace public. Pourquoi maintenant ? Parce qu'avec Internet et l'hyperconnectivité, les débats, la diffusion des idées et le questionnement autour du genre se sont intensifiés. Sur TikTok, Instagram ou encore YouTube, des milliers d'utilisateurs parlent sans tabou de leur questionnement et cette libération de la parole a permis de créer des tribunes libres d'expression qui n'existaient que dans des sphères (très) restreintes.
Aujourd'hui, tout ado ayant accès à TikTok ou Instagram a plus de chance d'intégrer et de normaliser les questions de genre là ou les générations précédentes - ayant grandi dans une société où l'omerta était encore de rigueur sur les "questions qui dérangent" - auront plus de mal à saisir toute la substance du débat.
C'est là que l'on comprend l'importance de l'environnement dans l'acceptation et la considération de certains combats. Environnement médiatique d'une part, mais également environnement sociétal. Ces questions peuvent être posées en France, parce que l'on a la liberté de le faire. La situation est toute autre en Russie ou en Tchétchénie, des pays où il est interdit de dire aux mineurs que l'homosexualité existe, les questions ne se posent pas (ou peu) parce que la politique ne le permet pas.
C'est donc un système à deux facettes : d'une part, la politique utilise l'argumentaire lié au genre et à la sexualité pour construire un débat ou enrichir un programme et de l'autre, ils sont en mesure de le faire parce que cette même politique a, au préalable, démocratisé certains sujets en donnant le droit aux personnes concernées de le faire.
Une identité de genre pour définir qui l'on est en substance
Et si la politique était finalement devenue un moteur de notre sexualité ? C'est une question que l'on est en droit de se poser, car si on considère que le sexe est politique, alors la politique a un impact sur notre sexualité. Dans une étude menée par Bumble au mois de février, on apprenait que pour 1 français sur 3, la question de la politique pouvait constituer un véritable frein dans une relation (pour une nuit comme pour la vie). Ce biais était d'ailleurs très présent chez les millennials. Pour 52 % d'entre eux, il est même nécessaire d'avoir une idéologie politique commune avec son partenaire pour pouvoir construire quelque chose.
Bien que cette copine qui nous sort, de temps en temps, "Pour moi, impossible de sortir avec quelqu'un qui vote à droite" nous fasse régulièrement sourire, il est important de se questionner sur la raison pour laquelle la politique a pris une place si présente dans notre chambre à coucher.
Pour certains, cela viendrait du fait que tout est politique, même la mode. Mais cela peut également venir du fait que la sexualité et le genre sont aujourd'hui devenus des moyens de militer d'une façon détournée : ôter son voile pour se battre pour la liberté, oser afficher sa transition en public, poster une photo d'un baiser entre deux personnes du même sexe sur Instagram, utiliser le hashtag #MeToo... Toutes ces petites choses choquent et elles choqueront tant que cela ne sera pas devenu acceptable.
Sauf que pour que cela devienne acceptable, il est important d'en parler et de, peut-être, rendre les choses si importantes qu'elles nécessitent d'être inscrites dans les questions politiques du pays.
Se tenir la main ou s'embrasser en public, l'acte de rébellion ultime ?
Il est également important de considérer le sexe, l'orientation et le genre dans sa globalité. Car il est, inconsciemment, ce qui nous donne une place dans la société selon les dogmes actuels. Pire, il est aussi parfois une prise de risque : le risque de se faire agresser lorsque l'on est une femme et qu'on rentre seule le soir comme le risque de se faire agresser parce que l'on a simplement décidé de tenir la main de son ou sa partenaire (qui s'avère avoir la même identité de genre que nous).
Le sujet des agressions des personnes issues de la communauté LGBTQIA+ est encore brûlant en France, pour une raison toute simple : les actes de violence anti-LGBT ont doublé en 5 ans (Têtu). C'est encore pire pour les personnes trans. Selon SOS LGBTIphobies, les actes de transphobie sont de plus en plus virulents en France. 63 % des agressions ont lieu dans les lieux publics.
S'il est vrai que la question de la transidentité questionne beaucoup en France (c'était d'ailleurs l'un des sujets brûlants de l'émission Quelle Époque ! du 15 octobre 2022), l'augmentation des agressions est très significative du rapport au changement et, surtout, de la différence. Tout comme les autres communautés discriminées, les personnes trans ont fait le choix (contraint ou forcé) de présenter leur sexualité, leur genre, comme représentatifs d'une idée de liberté : libre d'être qui on veut et, surtout, de se genrer comme on estime devoir l'être.
Mais la question du genre et de l'ordre établi est encore tellement virulente en France (il n'y a qu'à jeter un œil sur les rapports qui traitent de l'égalité femmes/hommes pour s'en rendre compte), que c'est presque une nécessité que de se présenter comme en marge de cette norme pour faire bouger les choses.
Ce militantisme du quotidien est évidemment à double tranchant, car s'il permet de ruer dans les brancards des plus conservateurs d'entre nous, il expose aussi les personnes qui ont fait le choix d'assumer leur genre, leur sexe, leur identité et leur orientation à des actes de violence. Mais si se tenir la main en public, embrasser son amant ou simplement mettre une jupe est ce qu'il faut faire pour changer les choses et mettre un coup de pied dans la fourmilière, autant le faire avec ferveur. Si la violence a souvent permis de changer les choses, l'amour (de soi et celui qu'on porte aux autres) peut être tout aussi efficace (peut-être même plus). Y a-t-il quelque chose de plus monstrueux que d'empêcher deux personnes de s'aimer ?
Et si le sexe est politique, il le restera tant qu'il sera nécessaire de justifier des combats et une certaine idée de la liberté à l'aide de son genre, de son orientation ou de sa sexualité.