Pourquoi la tendance ‘afro perm’ fait-elle autant de bruit ?
Entre emprunt et appropriation culturelle, la frontière est très mince. C'est ce que démontre "l'afro perm", tendance capillaire au cœur du débat en ce moment.
Écrit par Marie Ordioni le
De tout temps, on s’est toujours inspiré des cultures voisines pour forger notre propre culture. On a souvent piqué des inventions à d’autres villes, régions, pays pour les revisiter. On a parfois emprunté des recettes, styles musicaux et vestimentaires, maquillages et autres éléments pour enrichir les nôtres. C’est un fait… Et initialement, pas un délit.
Mais à quel moment cela peut-il en devenir un ?Où doit-on s’arrêter ?Quand commençons-nous à parler "d’appropriation culturelle" ? Ces dernières années, de multiples polémiques ont soulevé ces diverses questions essentielles. Dans un entretien livré au Monde en 2018, le sociologue Eric Fassin définit définit cette expression comme étant "un emprunt entre les cultures s'inscrit dans un contexte de domination".
En ce moment, le sujet est plus que jamais à l’ordre du jour. En cause ? L’ "afro perm", une tendance capillaire née en Corée qui consiste à modifier la texture initiale de ses cheveux en une texture afro. Très vite devenue viral sur TikTok, la spécialisation comptabilise aujourd’hui des milliers de vues sur le réseau, mais ne fait pas l’unanimité pour autant… Au contraire. Sur la toile, de nombreux internautes crient à l’appropriation culturelle. On décrypte.
L’afro perm, c’est quoi ?
C’est en Corée que l’afro perm a vue le jour. En quelques mots, cette tendance consiste à s’adonner à une transformation capillaire pour obtenir la même texture qu’un cheveu afro. Elle a été popularisée par Hippie Buddha, un salon basé en Corée et à Los Angeles, entièrement spécialisé dans cette technique. Des dreadlocks aux tresses, toutes les coiffures issues de la communauté noire y sont réalisées, sur une clientèle majoritairement asiatique.
Sur TikTok, le hashtag#afropermfait le buzz. Techniques utilisées, avant/après… Mais aussi et surtout, réactions. Car si la tendance fait beaucoup de bruit, elle ne reçoit pas que des éloges de la part des internautes.
Appropriation culturelle ou ode à la diversité ?
Sur les réseaux sociaux, les avis divergent. Si pour certains, l’afro perm est une preuve de diversité et d'inclusivité, pour beaucoup, elle n’est qu’appropriation culturelle. Interrogée par le journal 20 minutes, Aurélie Louchart, autrice de Trop crépues ?, explique pourquoi cette transformation capillaire est autant pointée du doigt : "Dans le cas des coiffures afro, la première personne à l’origine de cette tendance était chinoise et originaire de la République démocratique du Congo. Donc ce n’est pas pareil que cet homme qui a créé son entreprise autour de l’afro perm en Corée. Même si, dans les deux cas, ce sont des personnes d’origine asiatique qui modifient leurs cheveux pour obtenir une texture crépue." Selon elle, le fait de s’inspirer ou emprunter un élément à une culture n’a ainsi pas la même signification selon la source. La personne qui investit, en premier, le mouvement..
Entre stigmatisation et discrimination
Autre facteur à prendre en compte : les personnes adeptes de la spécialisation, les clients - pour la plupart, d’origine asiatique - ont tendance à directement rattacher les coupes de cheveux et coiffures afro à des stéréotypes et clichés. "Dans le cas de ces vidéos, ces personnes associent l’afro perm exclusivement au hip-hop et même pas tant le cheveu crépu afro ou la culture afro qui ne les intéresse pas. Cela enferme à nouveau la culture afro-descendante dans le hip-hop et le côté gangsta. Les Afro-descendants sont très stigmatisés autour de cela.", continue l’autrice.
Enfin et surtout, l’afro perm commence à poser un problème à partir du moment où la communauté noire subit des discriminations liées à son cheveu… Mais pas les autres, qui reproduisent leur texture. "Il y a encore une discrimination très forte liée aux cheveux afro des personnes noires. Le fait que quelqu’un d’origine asiatique puisse avoir la même coiffure qu’une personne noire et ne pas être discriminé pose problème.", souligne-t-elle. Elle propose alors une éventuelle issue, qui ne ferait malheureusement que confirmer ces inégalités : "Si elle pouvait rendre les coiffures afros plus populaires et donc moins discriminées. Cependant, cela serait extrêmement triste, car cela signifierait que des personnes non noires auraient dû les adopter pour que les coiffures liées aux Afro-descendants deviennent socialement acceptables."
Emprutner aux cultures voisines pour forger notre culture, oui. Mais le faire correctement. "Le véritable enjeu est de promouvoir la diversité culturelle tout en évitant de perpétuer des préjugés et des injustices. Il est nécessaire de reconnaître les discriminations qui existent.", conclut-elle.