Bonjour les ‘bed hair’, ou quand la flemme devient un look officiel
Plus besoin de passer des heures devant le miroir : la coiffure du moment, c’est celle qu’on ne touche pas. Mais derrière ce look négligé se cache une révolution bien plus profonde. Entre fatigue collective, rejet des injonctions et quête de confort absolu, les 'bed hair' sont bien plus qu’une tendance capillaire.
Écrit par Camille Croizé le

Fut un temps où une chevelure lisse et maîtrisée était le saint Graal de la respectabilité féminine. Puis est venu le règne des ondulations impeccables, des brushings ultra-glossy et des chignons savamment et - très patiemment - décoiffés (oui, même le 'messy bun' demandait quelques coups de peigne, de pinces et un coup de laque). Mais aujourd’hui, un vent nouveau souffle sur nos crânes : les 'bed hair'. Comprenez : ne pas se coiffer du tout. En bref, la coiffure ultime de la flemme.
Exit les heures passées devant le miroir, les crampes aux bras à vouloir discipliner des baby hairs en rébellion et le réveil anticipé (que l’on déteste) pour dompter sa tignasse. La flemme capillaire est devenue une esthétique revendiquée.
Les 'bed hair', c’est quoi au juste ?
Le concept est simple : vous sortez avec la tête que vous avez au réveil. Une coiffure faussement négligée qui prône l’anti-effort. Pas question ici de s’affoler devant une mèche qui rebique, c’est justement ce chaos capillaire qui fait le charme du look. Kristen Stewart, Mary-Kate Olsen ou encore Timothée Chalamet ont déjà adopté cette non-coiffure qui donne un air de 'j’ai autre chose à faire que de me préoccuper de mes cheveux'.
Si la tendance des 'bed hair' est sur toutes les têtes (littéralement), ce n’est pas juste une coquetterie esthétique. Comme tout dans la mode et la beauté, elle reflète quelque chose de bien plus profond : notre fatigue collective. Elle symbolise aussi un lâcher-prise généralisé face à des standards de beauté trop longtemps rigides. Ce n’est pas juste une envie de minimalisme, c’est un refus d’entrer dans la course à la perfection capillaire qui nous a été imposée depuis des décennies. Laisser ses cheveux en bataille, c’est une façon de dire qu’on n’a plus de temps à perdre à performer une version socialement acceptable de nous-mêmes.
L’ère de la fatigue et du minimalisme forcé
Il faut bien le dire : la fatigue est omniprésente. Entre l’inflation qui pèse sur notre budget, à tel point que chaque centime est scruté et que les courses ressemblent parfois à un jeu de Tetris, les nouvelles anxiogènes qui défilent sans fin sur nos écrans, et une charge mentale qui semble s'étirer à l'infini, il devient de plus en plus difficile de se motiver à investir une heure dans une coiffure élaborée ou une routine beauté complexe. Cette époque que nous vivons, plus que jamais marquée par l'incertitude, a imposé un virage radical vers le minimalisme. Mais attention, il ne s'agit pas ici d'une volonté purement esthétique de simplicité. Non, c’est une réponse à une pression psychologique qui est devenue insoutenable.
Le phénomène des bed hair n’est qu’une facette d’une tendance bien plus vaste, celle qui a redéfini notre rapport à la mode, au maquillage et à l’apparence en général. Le cosy wear, ce confort visible, la multiplication du homewear porté à l’extérieur, ou encore le no-makeup ont radicalement transformé notre perception de la beauté. Là où, avant, il était question de souffrir et de se conformer à des standards imposés, aujourd’hui, le luxe réside dans la simplicité, dans le fait de se sentir bien sans avoir à se plier à des codes esthétiques contraignants.

La beauté, autrefois vécue comme un fardeau à porter avec dignité, est devenue un terrain où l'on refuse d’être une "performante" dans un monde qui valorise l’effort esthétique comme une norme absolue. Ce minimalisme ne se résume pas à une simple mode, il est une forme de résistance. En choisissant de ne plus consacrer d’énergie à cet idéal de beauté aliénant, on rejette une injonction patriarcale qui a longtemps dicté ce qu’on devait être, comment on devait se présenter. Les bed hair, en ce sens, deviennent un acte de rébellion silencieuse, un moyen de revendiquer son droit à l’authenticité, à l’imperfection, tout en s’affranchissant des diktats d’une société qui ne cesse de nous dire quoi faire, quoi porter, quoi ressentir.
Un statement féministe (et anti-patriarcal, bien sûr)
Parce qu’en effet, le cheveu est politique. Ce n'est pas qu'une question d'esthétique : l'histoire a longuement montré comment la chevelure des femmes a été un terrain de régulation et de contrôle, souvent pour maintenir des hiérarchies de pouvoir bien ancrées. On n’a qu’à penser au brushing ultra-lifté des années 80 de Margaret Thatcher, symbole de rigueur et de pouvoir, qui avait pour but de marquer l’autorité féminine dans un monde dominé par les hommes.
De l’autre côté, les tresses africaines, culturelles et historiques, continuent d’être source de discrimination dans de nombreux secteurs, où elles sont perçues comme un signe de "négligence" ou d’"incompétence" dans le milieu du travail. Et bien sûr, on n’oublie pas les fameuses franges des filles bien sages, à la Zooey Deschanel, qui viennent aussi avec leur lot de codes sociaux et d'attentes. Autant de façons dont la chevelure des femmes a été utilisée pour leur attribuer une place bien définie, souvent en fonction de critères qui les maintiennent dans une norme.
Les bed hair, dans tout cela, représentent un véritable acte de refus. Un refus d'une attente sociale qui exige que les femmes soient constamment irréprochables, en tout temps, dans tous les domaines. Refus de cette tyrannie de l’apparence qui veut que chaque mèche soit à sa place et chaque coiffure parfaitement maîtrisée. C’est un refus de l’hyper-contrôle qui s'impose à nous, à travers des standards de beauté inaccessibles, toujours plus exigeants.
Refus aussi d'une routine beauté qui, au lieu de nous libérer, nous pompe notre temps et notre énergie, comme un travail supplémentaire auquel il est impossible d’échapper. À l’instar du phénomène du lazy girl job — cette nouvelle approche des carrières qui privilégie le bien-être personnel sur la quête d’une productivité toxique — le bed hair incarne une forme de résistance radicale. Il nous invite à abandonner les diktats d'une perfection qui nous enferme dans des rôles préfabriqués et à redéfinir ce qu’est une femme épanouie, libre et en accord avec elle-même.
Et les hommes dans tout ça ?
On remarquera que chez les hommes, le 'bed hair' n’a jamais été un problème. Le 'je-ne-fais-pas-d’effort' est même une marque de style depuis des décennies : de Johnny Depp depuis ses débuts dans le 7ème art à Harry Styles aujourd’hui. Ce qui est un 'effortless cool' chez eux a longtemps été vu comme du 'laisser-aller' chez les femmes. Mais pourquoi cette différence ?
Parce que le patriarcat a toujours encouragé les hommes à investir leur énergie ailleurs. Là où les femmes devaient se concentrer sur leur apparence pour être socialement acceptées, les hommes, eux, pouvaient se permettre d’avoir un look 'négligé' tant qu’ils excellaient dans d’autres domaines (intellect, créativité, charisme). Un homme aux cheveux en bataille est un artiste torturé, un rebelle, un penseur. Une femme avec la même coiffure ? Une personne qui 'ne prend pas soin d’elle'.
Ce double standard est ancré dans des siècles de représentations genrées. Historiquement, la beauté féminine a été un critère de valeur essentiel : des perruques poudrées de l’Ancien Régime aux chevelures soyeuses des héroïnes hollywoodiennes, une femme belle est une femme qui maîtrise son image. À l’inverse, les figures masculines de pouvoir ont souvent cultivé une apparence négligée pour signifier qu’ils avaient mieux à faire que de se soucier de leur look. Einstein et ses cheveux en bataille, Steve Jobs et son uniforme minimaliste, Pete Doherty et son style rockeur échevelé… Le message est clair : l’effort esthétique est une contrainte féminine.
Mais aujourd’hui, en adoptant le 'bed hair', les femmes reprennent ce pouvoir. Elles disent : 'Moi aussi, j’ai mieux à faire que de passer une heure devant mon miroir'. Elles revendiquent le droit d’exister sans artifice, d’être jugées sur autre chose que leur niveau de coiffage. Et cette fois, ce n’est plus une marque de laisser-aller, mais bien une affirmation.
Alors, on adopte les bed hair ou pas ?
Évidemment, les 'bed hair' ne sont pas une excuse pour ne plus jamais toucher une brosse à cheveux. C’est une posture esthétique comme une autre, qui peut être assumée ou mise de côté selon l’humeur. Mais une chose est sûre : ils marquent une bascule. Ce n’est plus à nous de nous conformer à des diktats, mais bien aux diktats de s’adapter à nous.
Alors si demain matin, l’envie vous prend de zapper la case 'coiffure' et de sortir avec vos mèches en bataille, félicitations, vous serez pile dans la tendance. Et peut-être même en train de faire un geste politique sans le savoir.