Vous préférez quoi ? Acheter un cabas de supermarché Balenciaga ou partir une semaine au Japon ?

Coup de tonnerre dans la fashion. Balenciaga a encore frappé et cette fois, la Maison de luxe a jeté son dévolu sur un banal cabas de supérette. Coup de génie ou expérience sociale ? Le mystère reste entier.

Écrit par Juliette Gour le

La fureur de la mode a encore frappé, pour notre plus grand plaisir. Si depuis toujours, les Maisons nous offrent des pièces plus créatives les unes que les autres, certaines sont parfois d'un design discutable. On le sait, il y a des pièces qui sont uniquement pensées pour faire parler, mais qui ne sont jamais réellement commercialisées (c'est le cas pour les silhouettes de défilé). Mais certaines marques - comme Balenciaga - sont passées maîtres dans l'art de nous faire acheter un peu tout et n'importe quoi. On pensait que le paquet de chips en cuir était le summum du snobisme, mais il faut croire que Demna - le directeur artistique de la maison - a encore une myriade d'idées pour tester notre fièvre acheteuse. 

Dernier éclat en date ? Un cabas, dans le goût de ceux que l'on trouve dans les supermarchés, mais en cuir de veau nappa, à 2700€ (rien que ça). 

Balenciaga, marque qui n'a peur de rien

Depuis 2015, Demna (Gvasalia) officie à la tête de Balenciaga. Maison de patrimoine, elle a longtemps été le terrain de jeu du grand maître de la Haute Couture, Cristobal Balenciaga. Génie du noir et des coupes flatteuses - qui rendent n'importe quelle femme divine - le couturier a posé les bases d'une mode sobrement élégante, que l'on porterait encore aujourd'hui. On lui doit notamment la création du gazar, un tissu quasi divin, parfait pour réaliser toutes les excentricités créatives du maître. Son règne prend fin en 1968, à l'occasion d'un ultime défilé, qui laissera toute une génération de clientes (pas encore it girls) orphelines

Il faut attendre 89 pour voir renaître Balenciaga de ses cendres. Si le fondateur n'est plus, le nom persiste. Mais c'est en 2001, avec le rachat de la marque par le groupe Kering, que vont se dessiner les nouvelles perspectives de la Maison, d'abord dans la parfumerie puis sur les podiums à partir de 2012. C'est à Alexander Wang qu'incombe la tâche de remettre la maison sur pied, ce qu'il fera divinement avant de laisser la place à Demna (Gvasalia) en 2015. 

Un tourbillon géorgien pour une maison en pleine réinvention

Plus qu'un changement de cap, c'est une révolution qui va être opérée par Demna chez Balenciaga. Au diable le classicisme daté, le créateur géorgien aime la mode qui dérange. Le fondateur du collectif Vêtements (so punk) décide de changer l'ADN de la maison de fond en comble. Un pari risqué qui s'avère cependant payant. En 2016, le chiffre d’affaires de la maison a doublé et le monde de la fashion est fasciné par les créations sulfureuses du créateur - qui ont plus leur place au Berghain à Berlin que dans les salons des mondaines. Le roi est mort, vive le roi.

De l'héritage Balenciaga, il reste évidemment l'architecture des coupes - toujours savantes même sur une pièce simple - et cette envie de déranger l'ordre établi. En 2021, la Maison signe un retour triomphant au calendrier de la couture et c'est la consécration ultime, le blason Balenciaga a retrouvé ses dorures et sa place au sommet.

Créer pour choquer, un pari toujours gagnant ?

Le problème, c'est que de Balenciaga, on ne retient pas forcément le meilleur. Certes les défilés sont gargantuesques - ambiance "fin du monde" - mais les sorties de route le sont tout autant. On se souvient du scandale des peluches "bondage", très BDSM, à destination des enfants ou du sac "Barbès" réplique d'un modèle Tatie à 1590€. Le détournement d'un objet populaire n'est pas du goût de tout le monde, mais la marque ne semble pas se préoccuper des "on dit" et réitère les expériences années après années. Il faut croire que ça marche.

On en vient même à se demander si Demna, grand joueur, ne s'est pas lancé dans une expérience sociale de grande ampleur, testant inlassablement la fièvre acheteuse des amoureux de la marque avec un seul leitmotiv "Jusqu'où sont-ils prêts à aller ? Combien peuvent-ils dépenser dans un cabas de supermarché ou dans une paire de Converse déjà usées ?". La réponse est beaucoup (trop).

Tout est mode et rien ne l'est ?

Une autre théorie pourrait expliquer l'approche, parfois expérimentale, du directeur artistique de la maison et elle s'inspire beaucoup de la philosophie des Dadaïstes. Mouvement artistique et intellectuel né au début du XXe siècle, le dadaïsme reposait sur le principe que "Tout est Dada", sous entendu "Tout est art" et donc, rien ne l'est réellement. Si l'on transpose cette pensée aux créations de Demna, ça devient "Tout est mode et rien ne l'est".

Ce que le directeur artistique de Balenciaga nous propose, c'est une réflexion sur notre relation au vêtement : pourquoi certaines pièces seraient jugées plus "mode" que d'autres et est-ce que, finalement, un cabas de supermarché n'est pas tout aussi fashionable qu'un sac de créateur. Peut-être que ce que Demna fait, au fond, c'est nous pousser à voir la mode autrement. En rendant les objets du quotidien désirables, il nous permet de poser un autre regard aux pièces qui nous entourent. Ce cabas que l'on cache sous notre évier, c'est aussi le seul, précieux, sac qui sert aux réfugiés pour fuir (fact). Le sac "Barbès", c'est celui que l'on remplissait pour partir en vacances ou déménager un appartement étudiant... Les parallèles ne manquent pas.

Marqueurs sociaux, ces sacs qui n'ont l'air de rien deviennent pièces désirables une fois sur un podium. Pourtant, leur réel intérêt est dans le quotidien, pas en vitrine d'un grand magasin. Balanciaga, sous ses airs punk, remet l'église au centre du village et nous permet, d'une certaine façon, de reconsidérer les sens de nos priorités. En rendant désirable des pièces qui ne le sont pas, la maison de luxe nous permet de réévaluer notre relation avec ces objets que l'on ne considère pas. C'est une manière de rendre noble le quotidien et c'est délicieusement innovant. Parce que, dans le fond, qui est le plus malin ? Celui qui fait 2 heures de queue pour s'offrir un sac IKEA griffé ou celui qui va s'offrir l'original à trois francs six sous, pour l'utiliser tous les jours ?

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