La jupe masculine, tendance à jamais bloquée derrière nos écrans ou avenir de la rue ?
Dernièrement vue et revue sur les podiums et célébrités, la jupe masculine a néanmoins du mal à s'installer dans les garde-robes des hommes... Mais va-t-elle réellement y parvenir un jour ?
Écrit par Marie Ordioni le
Depuis maintenant deux saisons, la jupe masculine papillonne. Plus que jamais et les unes après les autres, les grands créateurs se l’approprient. De Gucci à Marine Serre, en passant par Givenchy, les défilés Homme ne jurent plus que par elle. La tendance s’est complètement - et en un rien de temps - emparée de la planète mode.
Les stars, elles, l'ont déjà adoptée sans aucun problème. D’abord Harry Styles, puis Brad Pitt, en passant par Kanye West… Nos artistes préférés sont les premiers à s’en accommoder, sur les tapis rouges comme sur scène. En témoignent nos feeds, tous envahis par des clichés et vidéos de la pièce, à chaque événement mise un peu plus en avant. Parfois portée avec un pantalon en-dessous par les plus frileux. Parfois sans rien, par les plus audacieux.
Pourtant, lorsqu’on sort de nos écrans pour mettre un pied dehors… (Presque) rien. Chez les hommes, pas l’ombre d’un costume dynamisé d’un kilt. Comme si la tendance n’était pas encore arrivée dans la rue… Alors, la jupe pour masculinene sera-t-elle éternellement osée que par un public très restreint ou est-elle l’avenir du prêt-à-porter ? On se pose la question.
L’histoire derrière la pièce
Quitte à réinventer l'histoire, autant en connaître les débuts. Quand on pense "jupe", on songe souvent "Femme", "Sixties" et "Libération". Pourtant, si l’on remonte bien plus loin, dans l’antiquité, la jupe était bel et bien mixte. Chez les Romains et les Grecs, l’homme porte la tunique et la toge, et la femme, le peplos et le chiton. On la retrouve, par la suite, en Egypte, et on continue à la porter jusqu’au Moyen Âge.
Initialement très longue, recouvrant les pieds, elle commence à raccourcir avec les années… Chez l’homme. Mais pas chez la femme. Au XVIème siècle, l’un est en tunique très courte et collants pendant que l’autre s’habille de robes très longues et bouffantes. Il faudra attendre les années 1900 pour ne serait-ce qu’entrevoir les chevilles des femmes. Durant ce siècle, la jupe devient incontestablement féminine. En 1921, Jean Patou fait troquer le costume habituel de la célèbre championne de tennis Suzanne Lenglen avec une robe. La pièce fait ses premiers pas dans le monde du sport féminin. Les années passent, et elle raccourcit de plus en plus. Jusqu’aux Sixties, quand elle devient mini. Mary Quant et André Courrèges en sont les précurseurs.
Du côté de l’homme, on ne jure plus que par le pantalon de costume. Jean-Paul Gaultier tente néanmoins un retour en force dans les années 80 en proposant des kilts ultra-modernes. Franc succès sur les podiums, mais pas autant dans les rues. Ou du moins, pas au-delà de la communauté gay.
Sous le feu des projecteurs
Des années et une belle ouverture d’esprit plus tard, la jupe masculine fait enfin son grand retour. Les griffes les plus prestigieuses du monde la dessinent et redessinent. Chez Thom Browne, on s’amuse à pousser l’homme au paroxysme de sa féminité, alors que chez Dior, elle se fond complètement dans un look masculin. Chez Gucci, on la porte sans rien en-dessous, tandis que chez Etro, on est nostalgique des années 2000 : on enfile sa jupe par-dessus son pantalon.
Une nouvelle tendance qui casse les codes ? Les stars achètent ! Si Harry Styles n’a pas attendu de la retrouver sur les défilés pour tester la sensation de liberté que fait ressentir le port d’une jupe, d’autres ont mis un peu plus de temps à l’adopter… Mais ont tout de même fini par l'adopter, et ça, c’est plutôt cool. Robert Pattinson au défilé Dior Homme, Brad Pitt à la première du film Bullet Train… Les gambettes nues des hommes enflamment les tapis rouges, et les réseaux sociaux.
Jupe is it the new costume ?
Sur nos écrans, on la croise partout. Des toutes les couleurs, toutes les matières.Mais comment la porter ? Sur la plupart des looks, les créateurs l’immiscent dans un costume. Elle est enfilée sur le pantalon avec lequel, jusqu’ici, l’homme s’habillait pour aller travailler. Quand elle ne le remplace pas."La jupe pour homme est davantage revendiquée cette saison comme une prolongation du tailoring. Portée en superposition sur un pantalon comme si c'était le nouveau costume trois pièces ou en mimétisme avec une veste en flanelle grise, elle reste dans un vocabulaire masculin.", explique Thomas Zylberman, styliste et tendanceur au bureau de style Carlin International à Madame Figaro.
Et si cette tendance ne date pas d’hier et est clairement remise au goût du jour, un petit rafraîchissement du tailoring était, lui aussi, à prévoir. En cause ? Encore et toujours la crise du Covid-19, et le développement du télétravail. Dans ce nouveau monde, l’homme n’est plus forcément obligé - dans une grande partie des postes et domaines - de se déplacer pour aller au bureau tous les jours. Les costumes et tailleurs s’accordent donc quelques petites folies. D’ailleurs, d’ores et déjà en décembre 2020, le même expert de la mode avait prédit cette mise à jour, dans un entretien avec ETX Studio : "Jusqu'à présent le tailoring était quelque chose de contraint et de subi, mais comme le monde du travail s'est un peu déformalisé, avec la généralisation du télétravail, les designers ont investi le tailoring pour le rendre plus sympa. (…) Il y aura désormais les notions de créativité, de plaisir, et de fantaisie dans la veste de costard et le blazer. Le tailoring va trouver une nouvelle légitimité."
Un vêtement trop symbolique
Alors, pourquoi nos copains, maris et pères n’en sont pas encore devenus adeptes ? On met avant tout cela sur le compte de leur morphologie, plus difficile à appréhender."Leur rapport au corps est plus alambiqué. Leur faire porter un vêtement qui pourrait dévoiler leurs jambes et peut-être leur anatomie n'est pas des plus aisés. Les femmes, elles, ont été habillées, déshabillées, exposées, objectisées, fétichisées, et on trouve peu de contre-exemples chez les hommes.", expose, Julien Baulu, professeur d'histoire de la mode à l'Institut français de la mode (IFM), à Madame Figaro.
L’histoire, elle aussi, y est grandement pour quelque chose. Bien que mixte durant des siècles et des siècles, on l’a nous-même dit plus haut : lorsqu’on pense "jupe", on songe souvent "Femme", "Sixties" et "Libération". Longtemps contrainte de cacher ses jambes derrières de longs bouts de tissus, la femme a finalement réussi à se détacher et sortir (presque) complètement de ce carcan dans les années 60. Une véritable étape dans l’histoire de la libération sexuelle de la femme, et symbole de contestation. Soixante ans plus tard et malgré les efforts des stylistes et créateurs, les pensées demeurent trop souvent inchangées, enfermant les hommes, à leur tour, dans leur propre carcan. The Good Goods résume parfaitement ce phénomène dans un article sur le sujet : "Si la jupe a pour fonction d’identifier la femme dans la société, un homme qui s’octroie le droit de la porter doit être considéré de la même façon que s’il se réclamait du genre féminin. S’il rejette cette vision, il remet directement en cause la notion de genre. Plus loin encore, la jupe, si elle permet aux femmes d’être identifiées, porte avec elle tout le poids de la condition féminine. Pourquoi un homme voudrait-il donc la porter ?". La jupe masculine, tendance à jamais bloquée derrière nos écrans ou avenir de la rue ? Pour le moment bloquée dans nos écrans, on ne dira cependant jamais "jamais"…