Pourquoi l’Église mormone veut nous transformer en trad wives ?

Les Mormons se lancent dans une mission digitale, mêlant hashtags et vidéos virales. Une approche moderne de la foi qui interroge sur les limites du prosélytisme en ligne.

Écrit par Erine Viallard le

Hanéia Maurer, nouvellement mormone a récemment fait le tour des réseaux sociaux. Elle a dit au revoir à la téléréalité pour se recentrer sur la religion et partage maintenant sa vie rangée sur TikTok .

Ce type de contenu est devenu de plus en plus fréquent, mettant en avant une facette moderne et "cool" d’une religion souvent perçue comme traditionnelle.

Les Mormons, ou membres de l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, représentent 62 % de la population en Utah - et suivent une croyance millénariste. Fondée sur le prosélytisme, cette religion prône une transformation future et radicale de la société. Bien qu'ils s'inspirent de la Bible, les Mormons ne sont pas considérés comme faisant partie du christianisme traditionnel. Leur mode de vie, souvent sujet à controverse, est pour eux une forme de liberté spirituelle.

Autrefois, on les associait aux Témoins de Jéhovah, sillonnant les quartiers pour répandre la parole de Dieu en frappant aux portes. Aujourd’hui, les mormons se servent des réseaux sociaux pour toucher une nouvelle cible.

Si à première vue, cela semble être une évolution naturelle vers le numérique, cette nouvelle forme de prosélytisme soulève des questions. Utiliser les réseaux sociaux pour promouvoir une religion est-il vraiment sans conséquences ? Entre manipulation subtile et invasion de la sphère privée, ce phénomène moderne pose un véritable problème dans la manière dont les croyances sont partagées en ligne. Il est temps de se demander si ces Mormons 2.0, qui envahissent nos feeds avec des hashtags et des vidéos virales, ne franchissent pas une ligne éthique.

Les médias, vecteurs de messages

Les religieux ont toujours utilisé les médias pour diffuser des messages et voire, faire du prosélytisme et ce, pour toutes les religions. Pour rappel, le premier ouvrage imprimé a été la Bible (sans surprise). Avant la technologie, faire du porte à porte était le seul moyen d’aller au contact des personnes pour parler de Dieu. Problème, les jeunes n’ouvrent plus aux inconnus, ils sont trop occupés à scroller sur leur téléphone. L’Église mormone a donc décidé de changer de stratégie. Adieu les sonnettes de maison, bonjour les notifications sur les téléphones ! Et en matière de buzz, il savent y faire.

Des jeunes mormons se lancent aujourd'hui dans des missions numériques - en référence à leur première mission religieuse. Ils prêchent la bonne parole depuis leurs chambres à coups de posts Instagram et de tendances comme la prière et le verset du jour à divulguer. Grand nombre d’entre eux le font pour redorer l’image de l’Église mormone, ou partagent simplement des conseils religieux pour une foi meilleure. Encore plus fou, une téléréalité est consacrée à ces mormones sur Disney+, “La vie secrète des épouses mormones”. Un programme sur leur religion, ses nombreux codes et obligations qui fascinent (mais glamourisée).

@taylorfrankiepaul Season two 👀 coming early spring 2025. @hulu @secretlivesonhulu #thesecretlivesofmormonwives#season2♬ Original sound FOLLOW - bigldn


Les influenceurs de la foi

Les jeunes mormons adoptent les codes des influenceurs classiques : storytelling personnel, sincérité et une petite touche d’humour. Comme n'importe quel influenceur, ils utilisent des hashtags bien pensés : #FaithJourney, #JesusLovesYou, #MissionLife. Taylor Frankie Paul, jeune femme de 28 ans et mère de deux enfants a d’ailleurs lancé le hashtag MomTok sur les réseaux sociaux, pour montrer qu’être mormone, c’est "cool". Véritable carton, le hashtag a cumulé des millions de vues. Leur but : partager leur quotidien spirituel tout en cassant les clichés sur la religion.

Les tendances TikTok sont reprises autrement, comme avec les vidéos confessionnelles telles que les GetReadyWthMe sur des sujets make up - sauf qu'ici on parle de Dieu, de prière, et d’amour fraternel. Spoiler : ça marche, ils attirent des milliers de vues et suscitent des tonnes de commentaires. 

@haneiam Je suis mormon #donc bien évidement que… #pfy♬ original sound - Hanéia Maurer

Prosélytisme ou culture religieuse ?

C’est quoi la différence entre partager sa foi et faire du prosélytisme ? Les mormons ont trouvé la parade : ils ne "forcent" personne, ils partagent simplement leur mode de vie, espérant que ça inspire. Exemple viral : Hanéia Maurer, la Française qui vit à la “mormon mode” avec son amoureux. Un lifestyle qui a fait un sacré bruit car elle a totalement changé d’image et a fait découvrir aux Français : une religion plutôt américaine.

Les mormons misent sur la bienveillance et l’inclusivité pour susciter l'intérêt sans brusquer : leur objectif est de montrer que la foi peut être moderne, fun et inspirante. Des paroles romanisées comme pour donner envie : ”Je revis quand je vois que toute seule, je peux conquérir les papilles de mon foyer” dit Hanéia - cette influenceuse dans un de ses TikTok cuisine.

Toutes ces vidéos pourraient passer inaperçues si vous ne tombez pas dans la sphère des likes et de l’algorithme. Or, des mormons cachent bien leur jeu et dissimulent une sorte de prosélytisme.


Le prosélytisme dissimulé

L'éthique du prosélytisme numérique pose des questions cruciales concernant la manipulation et l'exploitation de l'intimité des utilisateurs sur les réseaux sociaux. Dans un environnement numérique où le divertissement et l’information s’entremêlent, les contenus religieux peuvent être présentés de manière détournée, sans que les internautes en soient conscients. Ce déséquilibre crée une situation où les utilisateurs sont exposés à des idées religieuses sans une compréhension claire de l'origine du message. Ce brouillage délibéré entre prosélytisme et divertissement devient trompeur, particulièrement pour ceux qui n'ont pas l'habitude de remettre en question la source, de ce qu'ils consomment en ligne.

Les réseaux sociaux, souvent perçus comme des espaces semi-privés, facilitent l’invasion dans la sphère intime des individus. Contrairement aux lieux publics où le prosélytisme est plus visible et facilement évitable, les plateformes numériques introduisent ces messages dans la vie quotidienne des utilisateurs de manière subtile, inattendue et parfois agressive. Cela peut être perçu comme une violation de la vie privée, car les internautes ne s'attendent pas à recevoir des contenus religieux non sollicités.


L’impact sur les jeunes publics vulnérables

Les jeunes sont plus sujets à être la cible du prosélytisme. Ça s’explique à travers les chiffres, ceux de La GenZ (19-29 ans) qui est en majorité sur les réseaux sociaux. Voire le double d’internautes par rapport aux Millennials (30-40 ans). En bref, les jeunes sont en masse et les mineurs comme les Alphas (moins de 16 ans), on n’en parle même pas… Des utilisateurs naïfs et souvent vulnérables face au risque de manipulation émotionnelle ou mentale.

Ces jeunes, surtout ceux qui traversent des moments difficiles ou qui cherchent à se sentir acceptés, deviennent des cibles privilégiées. Les messages religieux sont présentés de manière séduisante, offrant du sens, un sentiment d’appartenance et des réponses faciles à des questions souvent compliquées. Résultat, certains adhèrent presque sans s'en rendre compte, en se connectant à des communautés en ligne sans vraiment réfléchir aux implications plus profondes. Dans ce cadre, le prosélytisme sur les réseaux joue sur leurs émotions et leurs besoins, les poussant parfois à faire des choix qu'ils n'auraient peut-être pas envisagés autrement.

Partout et par n'importe quelle religion

En bref, les Mormons ne sont pas les seuls à utiliser les réseaux sociaux pour diffuser leur foi et faire du prosélytisme numérique. Toutes les religions s’adaptent à l'ère digitale pour attirer de nouveaux fidèles. Les évangéliques, par exemple, sont très présents sur YouTube avec des chaînes dédiées à la musique chrétienne. L'islam également, avec des influenceurs musulmans qui partagent des contenus sur le ramadan ou la prière quotidienne sur TikTok et Instagram. Idem pour les Juifs qui partageant leur mode de vie. La limite du prosélytisme est très fine.

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Erine Viallard

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