Comment les tailleurs et les pantalons sont devenus une “tendance lesbienne” selon le New York Post

Le New York Post s'est attiré les foudres de la toile en publiant un article annonçant que le tailleur-pantalon était la tendance lesbienne du moment. Décryptage de ce bad buzz qui associe une nouvelle fois mode et orientation sexuelle.

Écrit par Elsa Lauron le

Mercredi 16 février, 9h06, quelle surprise en ouvrant Instagram. 

Un post avait fait le tour de la toile en seulement quelques heures et avait réussi à attiser notre fureur et celle de la toile. Là, sous nos yeux, affiché en grosse lettre, un titre qui semble nous faire voyager dans le temps en nous ramenant des années en arrière. 

"Dressing like a lesbian’ is sexy, ‘powerful’ new trend, fashion expert says" ou "s'habiller comme une lesbienne c'est sexy, la nouvelle tendance puissante, selon les experts de la mode", l'art d'associer une sexualité à un look, une allure, une silhouette, une envie de looks particulière. 

Alerte aux clichés ! Attention, voici venus les Doc Martens, les pantalons larges, les tailleurs oversizes, les chemises à carreaux et les polos... Ou les tendances réservées aux femmes queers selon le New York Post

Les Éclaireuses

La tendance "lesbienne" décrite par le New York Post n'est autre que la tendance du tailleur-pantalon

La tendance lesbienne, plus tendance que jamais ? C'est ce que le New York Post tente de nous faire croire... Et pour appuyer ses propos, le magazine américain, connu pour ses titres choquants (ndlr : c'est le New York Post qui avait donné le surnom de Bimbos aux it-girls Paris Hilton, Lindsay Lohan et Britney Spears en 2006), s'est tourné vers l'auteure Jill Gutowitz

C'est une image que l'on n'est pas près d'oublier, un look iconique, Lady Gaga portant un tailleur oversize, une allure élégante et puissante, féminine et tendance. Puis il y a eu Zendaya dans son tailleur rose fuchsia, Blake Lively qui nous a offert un défilé de costumes lors de la promo du film "L'Ombre d'Emily", Emma Watson, Bella Hadid, Kristen Stewart, Victoria Beckham et tellement d'autres. 

Des icônes de mode qui, selon l'auteure, "ont rendu ce vêtement qui manque de glamour une pièce "tout public" et cool". Dans un article pour le Harper's Bazaar, elle écrit : "les tenues qui ont été pendant un temps du domaine des femmes queers ont été popularisées sur les tapis rouges et dans la mode de rue". Si pour Jill ces vêtements ont pendant longtemps été portés par des personnes gays, les voir sur des personnalités hétéros leur offre une certaine validation, comme une tape sur l'épaule de ces pièces catégorisées comme queer". 

Dans son article pour le New York Post, l'auteur, dont le nom a été retiré, affirme que "la mode queer est totalement tendance" : "Les femmes s'identifiant comme hétéros troquent leurs talons de 15 centimètres et leurs corsets trop serrés pour des bottes Dr Martens et des gilets sans manches en laine". Pulsion lesbienne ou simplement envie de liberté mode ? On penche plutôt pour la deuxième option car, après tout, n'est-il pas démodé de juger les femmes et les hommes sur leurs manières de s'habiller ?

Mode et orientation sexuelle, deux choses qui n'ont rien à faire ensemble 

Mode et orientation sexuelle, ce débat n'est-il pas déjà passé de mode ? En novembre 2020, les diktats avaient été fortement secoués quand Harry Styles avait posé en robe à volants en couverture du Vogue. Si le look du chanteur célébrait l'inclusivité et effaçait les barrières entre féminité et masculinité, il soufflait un vent de fraîcheur et signait un message fort en invitant chacun à s'habiller comme il l'entend. 

Une image moderne qui n'avait pas manqué d'attirer les critiques. Car après tout, un homme en robe manque forcément de virilité... Quelques mois plus tard, ce sont les photos de ce père de famille nommé Mark Bryan qui font le tour du monde. Un passionné de voitures qui aime également la mode et s'affiche en minijupe et talons aiguilles. 

Du haut de ses 61 ans, cet ingénieur en robotique "hétéro, marié et heureux, qui aime les Porsche et les belles femmes" cassait les stéréotypes et envoyait valser les diktats en affirmant fièrement que les vêtements et les chaussures ne devraient pas avoir de genre, car en portant des talons, il se sent puissant. 

Au-delà d'associer son style à son orientation sexuelle, la question relève plutôt de l'envie de s'habiller sans suivre les règles et les diktats de la société. Diane Keaton, actrice mythique et icône de mode véridique, ne s'est jamais laissée dicter par la société quand il s'agissait de défiler sur les tapis rouges. L'actrice, dont le style s'est fait connaître dans le célèbre film Annie Hall de Woody Allen, a su à travers les années cultiver cet amour pour une allure androgyne et minimaliste, devenue iconique. Col roulé, chapeau melon, tailleur, pantalon large, l'actrice a fait du style féminin masculin sa silhouette de prédilection. 

Et comme le magazine Dazed le dit si bien, l'article du New York Post suggère que les choix mode des personnes riches, belles et hétéros doivent forcément révéler quelque chose de profond sur notre culture et notre société. Et pourtant, est-ce que ces choix, perçus comme avant-gardistes et divergents, ne veulent tout simplement pas dire que ces personnes sont riches, belles et hétéros ? 

Une femme en pantalon, une tendance qui effraie

Si pour Jill Gutowitz "les looks androgynes que portaient les femmes lesbiennes étaient des identifiants visuels de cette communauté, ils sont maintenant des incontournables de la mode aujourd'hui", il est important de noter que ni les pantalons ni les débardeurs blancs n’ont eu l'étiquette "queer" depuis leur création.

Nos cours d'histoire n'ont pas manqué de nous le rappeler au fil des années : les pantalons ont pendant longtemps été réservés aux hommes. Une pièce historiquement masculine, signe du pouvoir, et qui, rappelons-le, était interdite aux femmes en France jusqu'en 2013. Une faille dans la loi qui ne manque pas de rappeler que nos ancêtres ont dû se battre pour nous permettre d'arborer fièrement aujourd'hui un jean 501 et un tailleur-pantalon. 

Petite leçon d'histoire de la mode si vous nous le permettez. Le premier pantalon pour femme est apparu en 1851 aux États-Unis. Créé par Elizabeth Smith Miller et inspiré des sarouels portés sous des jupes longues par les femmes en Europe, ce pantalon large a offert aux femmes une grande liberté de mouvement, non sans réaction hostile de la société... 

Les femmes qui choisissaient de porter le sarouel en public étaient souvent moquées, ridiculisées et couvertes de honte. Et si l'acte même de porter ce pantalon large n'était pas vraiment illégal selon la loi, des femmes vues portant le fameux sarouel d'Elizabeth Smith Miller ont été arrêtées à New York dans les années 1850, comme l'a rapporté Sara Idacavage, historienne spécialisée en mode pour la Parsons School of Design. 

C'est à partir de 1911 que l'on voit le fameux pantalon culotte, ce pantalon large qui, jambes collées, ressemble à une jupe. Pièce avant-gardiste créée par le couturier français Paul Poiret, il est adopté par les modeuses les plus extravagantes de l'époque. Si à partir des années 30, les stars d'Hollywood s'essayent à la tendance, il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour offrir aux femmes la liberté d'enfiler un pantalon. 

Si Dior fait de son mieux pour importer une image sage et féminine aux femmes avec des jupes larges et cintrées à la taille, Courrèges et Yves Saint Laurent défient cette vision et joue la carte de la rébellion en imaginant des tailleurs-pantalons et des smokings féminins. Un vrai symbole de la liberté des femmes au sens large.

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